mardi, avril 12, 2005

La monnaie africaine en débat

12 Avril 2005

par Moubarack LO


La création d'une monnaie a longtemps été un objectif de l'Organisation de l'Unité africaine (Oua), repris par l'Union africaine qui en a fait un symbole parfait del'intégration continentale et l'a inscrit comme ligne d'action dans son plan stratégique 2004-2007.

Un Comité préparatoire de la création de la Banque centrale africaine sera ainsi mis en place, dans les meilleurs délais, pour coordonner les travaux techniques préalables aux décisions politiques. Il viendra amplifier l'action de l'Association africaine des banques centrales (Abca) qui vise, à l'horizon 2021, la mise en place d'une monnaie unique et d'une banque centrale commune, en intégrant les cinq zones monétaires qui auront été créées d'ici là dans les communautés économiques régionales du continent. L'Union africaine fait globalement siennes les orientations retenues par l'Abca mais s'en écarte légèrement en envisageant le scénario de la «vitesse supérieure» qui consisterait à passer directement à la monnaie unique sans avoir besoin d'étape intermédiaire.

C'est dans ce contexte que le Fmi vient de rendre publiques, dans la revue Finance et Développement du mois de décembre 2004, les conclusions d'une étude de Paul Masson et Catherine Patillo sur la faisabilité ou non de la monnaie unique en Afrique. Les auteurs pensent que l'expérience du lancement réussi de l'Euro en Europe a joué d'une certaine façon dans le nouvel enthousiasme manifesté en Afrique au profit de l'Union monétaire. Les dirigeants africains souhaitent également faire de la monnaie unique un levier pour accélérer l'intégration continentale, en réduisant les coûts de transaction et en créant des économies d'échelle. Ces facteurs ont d'ailleurs toujours été cités par les économistes parmi les avantages théoriques offerts par l'intégration monétaire. Néanmoins les mêmes économistes, depuis Robert Mundell, estiment que les pays qui s'unissent au niveau monétaire ne peuvent y gagner que s'ils ne réagissent pas d'une manière asymétrique aux chocs exogènes et qu'il y ait mobilité des facteurs dans la région qui deviendrait ainsi une zone monétaire optimale. De surcroît, la Banque Centrale commune créée doit être en mesure d'assurer son indépendance et sa crédibilité, en travaillant en toute orthodoxie dans la maîtrise de l'inflation, du déficit budgétaire et du taux de change. Fondés sur les tests effectués à partir d'un modèle, Masson et Patillo concluent que des cinq régions africaines, seules la Comesa (Marché Commun de l'Afrique de l'Est et du Sud) et la Cedeao (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) enregistreraient des gains avec l'union monétaire africaine, les autres zones connaissant déjà une discipline budgétaire et faisant peu de commerce avec le reste du continent. Sans rejeter formellement l'objectif final de monnaie unique, les auteurs suggèrent de considérer comme priorité immédiate l'expansion sélective de la zone Cfa et de la zone Rand à d'autres Etats, sans chercher nécessairement à épouser avec exactitude les périmètres des communautés économiques régionales. Le plus important étant de diffuser la discipline budgétaire et la bonne gouvernance au plus grand nombre de pays et de bâtir ainsi petit à petit la route vers une union monétaire plus large.

Ce choix de l'option de la prudence par les auteurs a le mérite du réalisme et traduit sans doute la situation réelle des économies africaines. Il a toutefois l'inconvénient majeur de faire des projections basées uniquement sur les comportements actuels des pays et sur les difficultés vécues, sans aller très loin dans l'analyse des actions vigoureuses menées par ailleurs par la Commission de l'Union africaine et par les autres institutions de l'Union africaine (dont le Nepad), en vue de changer rapidement et radicalement la marche des choses sur le continent. Ceci leur aurait permis de soutenir avec beaucoup plus de conviction le scénario haut d'une union monétaire accélérée, regroupant d'emblée tous les Etats africains, grâce à l'émergence d'une meilleure gouvernance économique sur le continent.