mardi, mars 21, 2006

« De véritables partenariats Nord-Sud »

Entretien avec Jean-Luc Touly, président de l’Association pour un contrat mondial de l’eau.

Un habitant sur cinq n’a toujours pas accès à l’eau potable

sur la planète. Quels sont les freins à de réels progrès dans ce domaine ?

Jean-Luc Touly.

Il manque une grande structure internationale sur

le sujet, affiliée à l’ONU, avec un véritable pouvoir. Avec

le Conseil mondial de l’eau, on en reste aux seules déclarations d’intentions.

Du coup, les objectifs

du millénaire, comme ceux formulés à Kyoto en 2003,

ne sont pas suivis d’effet.

La catastrophe annoncée

se confirme, même si la sensibilisation progresse. Le financement, on le sait, doit

se faire des pays riches vers les pays pauvres. Et là, il manque une volonté politique.

Vous réclamez un retour

à la gestion publique

de l’eau dans les pays développés. Ce schéma

est-il applicable aux pays en développement,

qui doivent construire

ou perfectionner leurs réseaux ?

Jean-Luc Touly. Oui. Regardez l’Amérique latine. Des peuples, des mouvements sociaux se lèvent pour refuser ce système néocolonial qui voit les ressources naturelles contrôlées, exploitées par les grandes multinationales de l’eau, qui sont, je le rappelle, presque toutes d’origine française. Des pays comme

la Bolivie, depuis la victoire d’Evo Morales, mettent

en oeuvre des solutions alternatives, qui ne sont pas toujours le retour pur et simple à la régie publique : création de coopératives ou encore mise en place d’un véritable contrôle social des entreprises publiques, destiné à éviter les abus. Les multinationales elles-mêmes revoient leurs stratégies

et quittent certains pays, comme Suez en Argentine, se redéployant dans de nouveaux marchés jugés plus sûrs, comme la Chine

par exemple. Mali, Gabon, Afrique du Sud, Inde, Philippines... Les exemples d’échecs du partenariat public-privé sont nombreux. C’est donc vers des partenariats « public-public », des collectivités des pays riches vers les pays pauvres, qu’il faut se tourner. Ce que permet la loi Oudin-Santini, adoptée en février 2005,

qui ouvre le droit d’utiliser jusqu’à 1 % des ressources issues de la gestion de l’eau pour des actions de solidarité. L’idée est bonne. Sauf

que les multinationales,

les agriculteurs et les industriels ne participent pas directement à cet effort.

Quelles sont les autres solutions concrètes

à mettre en oeuvre pour améliorer l’accès à l’eau

de tous ?

Jean-Luc Touly. Il y a des solutions techniques, peu coûteuses : récupération

des eaux pluviales, recyclage des eaux usées, récupération de l’humidité dans l’air... Mais il faut aussi

un électrochoc pour que la communauté internationale se mobilise. C’est pourquoi nous plaidons pour le prélèvement de 1 % du budget militaire mondial, soit à peu près 10 milliards de dollars, afin de financer l’accès à l’eau de tous. Seconde proposition : un prélèvement de 1 %

du chiffre d’affaires

des multinationales de l’eau en bouteille (Danone, Nestlé, Coca-Cola), qui s’accaparent des grandes nappes phréatiques au Brésil,

en Afrique ou en Inde.

Roger Lenglet, Jean-Luc Touly, l’Eau des multinationales.

Les vérités inavouables, Fayard, 2006, 250 pages, 19 euros.

Entretien réalisé par Alexandre Fache