vendredi, novembre 18, 2005

Coopération Sud/Sud : Mythe ou réalité ?

Table Ronde de Haut Niveau en matière de partenariat dans le domaine des TIC

Panel du 15 novembre 2005 de 09H00 à 11H00 :


1. Objectif et enjeux :

L’objectif de ce panel était d’explorer les défis et les opportunités d’accélération du développement pouvant exister dans la coopération Sud/Sud dans le secteur privé des TIC, et particulièrement entre les pays émergents et les pays en voie de développement.

En lançant les discussions, le modérateur du Panel, M. Moez Limayem, Professeur à HEC Lausanne, a expliqué que la coopération Sud/Sud était importante, possible et nécessaire. En effet, la coopération Sud/Sud permet aux pays émergents de répondre à l’excédent de capacités et de compétences en TIC qui les caractérise aujourd’hui. Elle permet également d’accélérer le développement du marché mondial des TIC en élargissant ses frontières et elle joue un rôle primordial dans la réduction de la fracture numérique dans le monde.

La coopération Sud/Sud, selon M. Limayem, n’est cependant pas suffisante pour réaliser ces objectifs. Elle nécessite pour cela la création de réseaux de synergies entre les secteurs privés et les sociétés des différents pays émergents pouvant être réalisés notamment grâce aux TIC. Elle requiert également la mise en place de guidelines pour permettre aux sociétés du Sud de pouvoir concourir avec des chances de gagner, du moins durant une phase transitoire afin accéder aux marchés financés par les organismes internationaux. La clé de l’émergence de ces sociétés du Sud et leur accès à des marchés extérieurs réside dans leur spécialisation. Seule une «approche focused » leur conférera un avantage compétitif.

2. Idées forces des intervenants :

Présentant l’expérience tunisienne en matière de coopération Sud/Sud, M. El Haj Gley, Président de la Poste Tunisienne, a montré que cette coopération pouvait être possible et fructueuse. Il a ainsi évoqué plusieurs exemples de réussites de transferts de technologies développées en Tunisie grâce à un partenariat public/privé, vers des pays du Sud (e-learning, e-banking, télécompensation bancaire, signature électronique, payements électroniques, …). Saisir les opportunités qu’offre la coopération Sud/Sud nécessite de relever cinq défis que M. Gley appelle les « 5 C » : Connexion (à internet, aux PC, aux nouvelles voies de la technologie), Capacités (environnement des TIC, cadre légal et infrastructure renforcés), Contenu (applications, process et services informatiques développés), Capital (accès aux ressources financières pour l’infrastructure des TIC) et Coopération (partenariats, coopération triangulaire).

M. Samy Achour, Président de Integration Objects, a pour sa part défendu l’idée qu’une coopération exclusivement Sud/Sud n’est pas possible. Il privilégie plutôt une coopération triangulaire Nord/pays émergents/pays en développement qui, seule, pourrait réduire la fracture numérique. Ce modèle de coopération a l’avantage selon lui de permettre à chacun de prendre chez l’autre ce qui lui manque. Les pays émergents ont réussi à développer des capacités en TIC et les pays en développement peuvent profiter de leur expérience et compétences, d’autant plus qu’ils en sont plus proches géographiquement et économiquement. Les pays développés, plus connus comme pays donateurs ayant accès à des ressources financières à moindre coût, peuvent travailler en équipe avec les pays émergents, réduire leurs coûts et élargir leur marché. On réduirait ainsi la fracture numérique.

Pour stimuler le secteur privé des TIC, la Banque Mondiale par la voix de son représentant M. Carlo Rossotto, défend trois facteurs. D’abord, il faut favoriser la concurrence car l’introduction de nouveaux opérateurs privés dans le secteur des TIC permet d’accélérer le développement, d’améliorer les performances et d’accroître la coopération Nord/Sud et Sud/Sud. Ensuite, il s’agit de développer les relations secteur public/secteur privé à travers notamment l’externalisation de certains services gouvernementaux au secteur privé. Par ailleurs, la déréglementation du secteur des TIC devrait être régulée uniquement par le développement des nouvelles technologies. Le rôle des Etats devrait être celui de créateur d’opportunités de partenariats entre les opérateurs privés. Enfin, la politique d’approvisionnement en biens et services des marchés publics financés par la Banque Mondiale et autres organismes internationaux doit éviter les quotas alloués au secteur privé local mais privilégier plutôt les incitations au partenariat Nord/Sud.

Le dernier paneliste a présenté un exemple de réussite de coopération Nord/Sud dans les TIC. A travers sa société, Bristol Babcok, M. David Rushforth, a développé un partenariat fructueux avec une société informatique tunisienne privée. Ce partenariat a réussi selon lui grâce à la disponibilité des compétences tunisiennes (système éducatif et connaissances technologiques de qualité), à l’existence d’un risque pays limité et à la mise en place d’une formation et de mécanismes de coopération adaptés aux deux partenaires. Ce partenariat a ainsi permis de réussir non seulement une coopération Nord/Sud mais d’arriver également à une coopération Sud/Sud par la suite.

3. Points d’accords et sujets de débat

Les échanges qui ont suivi ces présentations ont dégagé certains accords et certains points de divergence de la part des intervenants. Les accords ont concerné l’importance de la coopération Sud/Sud et le potentiel des pays émergents dans le domaine des TIC, potentiel devant cependant être canalisé et mis en valeur pour être plus visible et mis à la disposition des pays en développement. Les différences de points de vue se sont, quant à eux, exprimé sur les points suivants :
- pour certains, il n’y a pas de véritable coopération Sud/Sud sans que le Nord y joue un rôle
- pour d’autres, il est nécessaire d’équilibrer cette coopération Nord/Sud
- enfin certains protagonistes appèlent les institutions internationales et les bailleurs de fonds à établir des quotas en matière de marchés publics au bénéfice d’opérateurs privés locaux alors que d’autres estiment que cela aurait des effets pervers et préconisent plutôt des approches incitatives et la constitution de partenariats et de consortiums Nord/Sud.

4. Axes de progrès

Il ressort de l’ensemble des échanges qu’il n’y a pas lieu d’opposer la coopération Sud/Sud avec la coopération Nord/Sud mais plutôt de les concevoir conjointement, voire de les ajouter (Sud/Sud et Nord/Sud non pas Sud/Sud ou Nord/Sud).

Les recommandations du panel pour dynamiser cette coopération privilégient trois axes :
- la constitution de réseaux régionaux favorisant le partage d’expériences et la mise en commun d’expertises pour remporter des marchés importants et ce, en utilisant au mieux les TIC
- la promotion d’une conception triangulaire de la coopération intégrant les pays émergents, les pays en voie de développement et le Nord. Il s’agirait d’agir « autrement » en favorisant une approche où tous les intervenants seraient gagnants in fine ( win-win-win).
- Enfin, il est demandé aux bailleurs de fonds internationaux, au-delà du simple financement, d’apporter un soutien aux initiatives de coopération triangulaire en vue de renforcer, pour les opérateurs locaux, les possibilités d’accéder aux marchés importants. Ce sont ces organismes internationaux qui peuvent et qui doivent jouer un rôle de faciliteur de coopération Sud/Sud mais aussi Nord/Sud en privilégiant les vrais schémas de synergies.

En conclusion, la coopération Sud/Sud s’avère possible, nécessaire mais pas suffisante. Pour qu’elle s’incarne véritablement, il appartient au Sud de se prendre en charge en détectant les potentiels dans son périmètre et en favorisant la constitution de réseaux et de coopérations. C’est un processus « step by step » qui est préconisé à travers, en premier lieu, des expériences régionales et ciblées. Les acteurs, plutôt que de se perdre à aller dans toutes les directions, devront choisir des terrains de spécialisation à forte valeur ajoutée. Est-ce le « customer relationship », ou les bases de données ou d’autres technologies encore ? Ces zones de synergies Sud ne pourront que s’enrichir et se renforcer à travers des coopérations avec le Nord, à condition que ce soit à travers des schémas de vrais partenariats triangulaires « win-win-win ». Aux institutions internationales de créer de meilleures conditions pour que ces coopérations émergent en faisant évoluer leurs politiques de procurement et en instituant des guidelines qui incitent au partenariat.