dimanche, avril 02, 2006

La dette, le développement et les institutions internationales

5e séminaire international du CADTM sur le droit et la dette
La dette, le développement et les institutions internationales

Le 5e séminaire de droit international du CADTM a eu lieu à Bruxelles les 7, 8 et 9 octobre derniers, dans la salle principale du Sénat de Belgique. Il a été rendu possible grâce à l’appui du sénateur socialiste Pierre Galand et à celui de la Confédération mondiale du travail [1]. Cette année, le séminaire s’est décliné en trois thématiques - une par jour : le droit au développement exprimé par la déclaration de l’ONU de 1986 et son applicabilité, l’audit de la dette, et enfin la justiciabilité des institutions financières internationales. Nous vous proposons ici une synthèse des travaux.

par Virginie de Romanet
17 janvier 2006

Eric Toussaint, président du CADTM Belgique, a introduit le premier thème en soulignant que le droit au développement a été reconnu mais qu’il n’existe pas pour la majorité de la population mondiale. Il a rappellé qu’il s’agit bien d’une conquête dans les textes, mais que ce dont il s’agit maintenant c’est de lutter pour universaliser cette conquête dans la pratique.

Robert Charvin, professeur de droit international à l’université de Nice, a fait l’historique du droit au développement, comme résultat d’un long processus parti de la lex mercatoria (le droit international classique) sous la pression des nouveaux Etats nés de la décolonisation, qui allait aboutir à la formation de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), tribune destinée à mettre en avant les intérêts économiques des pays du Sud.

Ce droit au développement n’était pas un droit révolutionnaire : il ne remettait pas en cause les structures internes de domination. Il s’agissait néanmoins d’un pas en avant, surtout si l’on compare avec la situation qui prévaut actuellement. La reconnaissance internationale de ce droit au développement a vu sa traduction dans le monde académique sous la forme d’enseignements sur le droit au développement, remplacé par le droit commercial ou droit des affaires à partir de l’offensive néolibérale du début des années 80. Robert Charvin conclut en estimant qu’un changement de contexte est rendu perceptible par des signaux comme le mouvement de grève français ou un rapport de la CNUCED qui remet en cause la vision de l’investissement privé en Afrique comme moteur du développement.

Politiques néolibérales, développement et Objectifs du Millénaire

Malik Ozden, qui est représentant permanent du Centre Europe Tiers Monde de Genève auprès de l’ONU a relaté le traitement du droit au développement au sein de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, en signalant que la déclaration de l’ONU constitue une arme de première importance qui met l’accent sur les droits collectifs et le droit des peuples à choisir leur propre développement contre l’imposition de politiques néolibérales. Il a signalé qu’on n’a fait aucun progrès dans la mise en œuvre de ce droit au développement depuis l’adoption en 1986 de cette déclaration, principalement à cause du manque de volonté politique des pays du Nord.

Francine Mestrum, d’Attac Flandre, a ensuite exposé les limites des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) des Nations unies, adoptés en septembre 2000, qui visent à réduire de moitié la pauvreté extrême d’ici à 2015, et la comparaison de ceux-ci avec la résolution sur le droit au développement.

La pauvreté est présentée par les Institutions financières internationales (IFI) comme un problème multidimensionel qui du manque de soins de santé et d’hygiène qui demeure encore un phénomène objectif au début des années 90, elles mentionnent aujourd’hui le manque de voix ou d’empowerment ce qui est tout à fait subjectif et si elles utilisent encore le critère du revenu dans les statistiques, celui-ci disparaît complètement des solutions.

Elles mettent en avant la privatisation et la libéralisation comme des mesures favorables aux pauvres. Elles attaquent la sécurité sociale sous le prétexte fallacieux suivant : comme elle ne concerne que les travailleurs du secteur formel, elle n’est pas utile aux pauvres et devrait donc être démantelée. Elles refusent évidemment également l’idée d’un salaire minimum. Or, il n’y a rien sur la notion de travail dans les OMD, pas plus que dans les bien mal-nommés Programmes stratégiques de réduction de la pauvreté (PSRP). En outre, lorsque l’on analyse les 42 PSRP, 27 prônent la privatisation de l’eau et 27 la dérégulation des investissements, mais aucun ne demande aux investisseurs de laisser les bénéfices dans le pays concerné.

Isabelle Hoferlin, de la Confédération mondiale du travail, a ensuite fait le bilan de la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels, en présentant l’Organisation internationale du travail (OIT), qui est une organisation tripartite regroupant les représentants des patrons, des travailleurs et des gouvernements. Avec l’offensive néolibérale, la même tendance s’est manifestée au sein de l’OIT, avec les représentants des employeurs qui mènent bataille pour le remplacement des conventions contraignantes par des recommandations et actions volontaires. Elle soulève qu’un des problèmes auxquels sont confrontés les syndicats est que l’immense majorité des emplois créés dans le Tiers Monde le sont dans le secteur informel (90%) et que de ce fait le poids des syndicats dans le rapport de forces actuel ne permet pas d’obtenir une convention qui serait contraignante.

L’audit de la dette

Les travaux sur l’audit de la dette (sur ce sujet, lire également dans ce même numéro l’article de Denise Comanne, NDLR) ont débuté par une présentation du cas du Rwanda, par le sénateur Pierre Galand, qui a montré la complicité des différents créanciers dans la formation du génocide.

Les participants ont ensuite pu suivre une présentation sur l’audit de la dette des Philippines qui a été voté au Parlement grâce à un lobbying de plusieurs années de la coalition philippine d’annulation de la dette (Freedom from Debt Coalition). Le député Mario Aguja a insisté sur la nécessité de l’action conjointe d’ONG spécialisées et de mouvements sociaux, car si les parlementaires ont un accès aisé à la documentation, la force de ces mouvements citoyens consiste à pouvoir alerter les populations sur cette question.

La député Claire a également traité la question de l’audit, au Brésil cette fois. Elle a présenté l’audit citoyen, qui a permis d’analyser la situation de l’endettement brésilien entre 1974 et 2001. Cela a donné lieu a un front parlementaire, initiative soutenue par de nombreux députés et dont le but est de dégager « une masse critique » pour la mise en œuvre d’un véritable audit, comme le prévoit la constitution de 1988.

Concernant l’Angola, Benjamin Castello, de Jubilee 2000 Angola, a expliqué que son pays semble résolu à mener un audit de sa dette par un travail effectué auprès des parlementaires. Etant donné l’approche des élections, il s’agit de mettre au point une tactique afin de déterminer s’il vaut mieux impulser l’audit avant les élections pour que les partis soient forcés d’en tenir compte ou d’attendre le résultat de celles-ci.

Le député Boubacar Touré, du Mali, a quant à lui mentionné la création d’une commission spécialisée sur le suivi de l’endettement pour la pratique d’audits et de contrôle gouvernemental.

Hugo Ruiz Diaz, conseiller juridique du CADTM, a présenté les différents types d’audit en insistant sur le fait qu’il s’agit d’une tentative de réponse importante à l’endettement qui a été utilisé depuis le début des années 80 comme une arme stratégique pour télécommander l’économie des pays en développement par l’imposition des plans d’ajustement structurels.

En Argentine, le pouvoir judiciaire a décrété en juillet 2000 la nullité de la dette contractée pendant la dictature et qui a continué à gonfler sans cesse par la suite, en renvoyant le parlement argentin à ses responsabilités. Celui-ci n’a jusqu’à présent rien fait à ce sujet. Au Pérou, le pouvoir législatif a réalisé un audit sur la dette contractée pendant le gouvernement Fujimori en 1990 et 2000, audit qui a mis en lumière le soutien de la Banque mondiale au régime de Fujimori et à sa réélection et des détournements de fonds au moment des élections.

La Banque mondiale et le FMI : juridiquement responsables !

La justiciabilité des institutions financières internationales a quant à elle fait l’objet de plusieurs présentations. Alejandro Teitelbaum, de l’Association américaine des juristes, a commencé par citer l’article premier des statuts du FMI, qui stipule que celui-ci doit « faciliter la croissance équilibrée du commerce international en contribuant de cette manière au développement et au maintien de niveaux élevés d’emploi et de salaires réels et au développement de la capacité productive ». Or, le FMI a fait exactement le contraire, en envoyant un des ses fonctionnaires, Dante Simone, conseiller la dictature argentine pour endetter le pays sans raison valable autre que celle de favoriser le capital national et étranger.

Le rôle néfaste du FMI ne s’arrête pas à l’Argentine, loin de là : les plans d’ajustement structurel appliqués depuis le début des années 80 par le FMI et la Banque mondiale se basent sur l’endettement pour appliquer des politiques régressives en matière d’accès à la santé, à l’éducation, au logement aux dépens de l’immense majorité des populations de la planète et au bénéfice de la minorité bénéficiaire du système mondial. Or, selon la Cour internationale de Justice, ces organisations possèdent la personnalité juridique et sont donc juridiquement responsables des violations des droits économiques, sociaux et culturels qu’elles commettent. Elles ont donc aussi l’obligation de réparer et de ne plus récidiver.

Quel contrôle des IFI ?

Damien Millet, le président du CADTM France, a lui détaillé le contrôle par le parlement français des institutions financières internationales. En France, c’est en 1998 que le rapporteur de la Commission des finances décide de demander des comptes au gouvernement sur l’argent engagé par la France auprès des IFI. A partir de là, l’Assemblée nationale va exiger du gouvernement un rapport annuel sur les activités des IFI. Le gouvernement va se plier à la demande de mauvaise grâce en remettant des rapports tout à fait insuffisants.

Dans les autres pays, quelle est la situation ? En Allemagne, en Espagne et en Italie, il n’y a que peu de suivi du représentant national et des activités des IFI. En Grande-Bretagne, la Chambre des Communes a engagé une procédure similaire à celle de la France pour le FMI, à laquelle le gouvernement s’attache à répondre point par point à la Commission du Trésor. En ce qui concerne la Banque mondiale, rien n’a cependant été publié.

Aux Etats-Unis, le Congrès a un réel pouvoir de contrôle. C’est ainsi qu’il a pu décider la réduction de la quote-part des Etats-Unis à 15%.

Christine Vanden Daelen et Victor Nzuzi, du groupe droit du CADTM, ont ensuite brièvement traité de la question de la responsabilité dans la création de la dette de la République démocratique du Congo, en mettant l’accent sur le barrage d’Inga, qui représente la moitié de la dette congolaise. Projet dont le coût a été complètement sous-estimé. Alors que ce projet était estimé non viable par la CEE et la Commission des Nations unies pour l’Afrique, il a néanmoins été réalisé sous l’impulsion d’un bureau d’études italien, occasionnant de graves dommages environnementaux, ne créant pas les emplois promis et, circonstance aggravante, n’étant pas capable de fournir de l’électricité aux populations des villages traversés.

Enfin, Eric Toussaint a conclu la journée par la question du bien fondé d’une plainte contre la Banque mondiale pour ses mégas projets destructeurs de l’environnement, l’imposition de politiques agricoles favorisant le tout à l’exportation au détriment de la sécurité alimentaire des pays, l’aide à des régimes dictatoriaux et la déstabilisation systématique des gouvernements progressistes, ainsi que, depuis le début des années 80, les prêts d’ajustement structurel destinés à prendre le contrôle des économies des pays endettés. Les plaignants pourraient être des associations de personnes affectées par les prêts de la Banque et son soutien à un régime dictatorial, ou des syndicats qui détiennent des titres de la Banque et dont on pourrait imaginer qu’ils portent plainte contre elle pour l’usage fait de leur argent.

Virginie DE ROMANET

Notes:

[1] 1. Il n’est pas inutile de préciser que le 7 octobre était en Belgique journée de grève générale, la première depuis 12 ans, à l’appel du syndicat socialiste FGTB. Le mouvement était dirigé contre le (très !) mal-nommé « Pacte de solidarité entre les générations » imposé par le gouvernement - et tout particulièrement contre la réforme des pré-pensions. Le mouvement, salué par les participants aux travaux du séminaire du CADTM, a été particulièrement bien suivi, quelques jours après une mobilisation similaire et massive en France.