mardi, mai 10, 2005

Acteur mondial, le Brésil doit aussi s'affirmer en Amérique du Sud

Paris, le ministre brésilien des relations extérieures, Celso Amorim, vient d'arracher à l'Union européenne (UE) un accord sur les droits de douane agricoles qui permet de relancer les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Sa satisfaction de voir conforté le rôle du Brésil comme acteur global est tempérée par les tensions que suscite son leadership régional.

A Buenos Aires, le quotidien Clarin s'est fait l'écho, le 2 mai, d'une réunion convoquée par le ministre argentin des affaires étrangères, Rafael Bielsa, avec six ambassadeurs péronistes. Le journal progouvernemental attribue au président argentin, Nestor Kirchner, des propos désabusés : "s'il y à un poste à prendre à l'OMC, le Brésil le veut ; s'il y a une place au Conseil de sécurité de l'ONU, le Brésil la veut ; ils voulaient même un pape brésilien !"

Les Argentins reprochent aux Brésiliens le déséquilibre du commerce bilatéral et l'achat de grandes entreprises argentines, comme Perez Companc (acquis par Petrobras) ou la brasserie Quilmes (achetée par Brahma). "Si le Brésil veut être le leader de la région, il doit ouvrir le portefeuille et aider ses partenaires à avancer" , plaide l'Union industrielle argentine.

Celso Amorim fait assaut de modestie. "Il y a peut-être eu un malentendu, car nous sommes humains, faillibles, dit-il. Le Brésil a des frontières avec dix pays sud-américains et se doit d'avoir une politique à l'égard de toute l'Amérique du Sud, mais cela ne diminue en rien l'importance stratégique que nous attribuons à l'Argentine, par-dessus toute autre relation."

"Nous n'aspirons pas à l'hégémonie, assure M. Amorim. Mais le Brésil est plus grand, il croît davantage, et nous devons donc être plus attentifs aux effets de notre politique sur nos voisins. En décembre 2004, le sommet du Mercosur -l'union douanière sud-américaine- s'est penché sur les asymétries entre les pays membres. La BNDES -banque brésilienne de développement- peut compenser les déséquilibres, en finançant des investissements industriels. Puisque l'argent vient des contribuables brésiliens, il faut rechercher l'intérêt réciproque. L'avenir est aux joint-ventures -entreprises communes-."

SOMMET LE 10 MAI

Outre l'intégration régionale, Brasilia cherche à promouvoir les échanges Sud-Sud, pour réduire l'écart entre pays industrialisés et pays émergents. "D'ores et déjà, les exportations brésiliennes à destination des pays en développement équivalent à celles destinées aux Etats-Unis et à l'Europe réunies, explique le ministre. Le but n'est évidemment pas de remplacer l'Amérique ou l'UE, mais de diversifier nos débouchés. Avant même la tenue du premier sommet des pays sud-américains et des pays arabes, à Brasilia, le 10 mai, cette initiative est un succès. La tournée du président Lula au Moyen-Orient a éveillé les entrepreneurs. L'Arabie saoudite vient de nous acheter 15 avions, le Qatar 500 autobus, en plus des exportations de viande et des projets dans le bâtiment. La Chine est un cas à part, nos ventes atteignent les 10 milliards de dollars."

La diplomatie n'étant pas un simple relais du commerce, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et son homologue chilien, Ricardo Lagos, se sont retrouvés avec le chef de l'Etat français, Jacques Chirac, et le président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, pour relancer la lutte contre la pauvreté. En Haïti, le représentant de Kofi Annan est un Chilien, le commandant des troupes de l'ONU est un Brésilien.

Le dénouement de la crise de l'Organisation des Etats américains (OEA) s'est négocié entre Brasilia et Santiago durant un récent voyage de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice. "Au Chili et au Brésil, les coalitions de centre gauche, reposant sur un système solide de partis politiques, se sont montré capables de gouverner en évitant la tentation du populisme" , avance le jeune ministre chilien des relations extérieures, Ignacio Walker, un démocrate-chrétien. "Nos deux pays disposent de la crédibilité requise pour jouer un rôle stabilisateur dans la région" , ajoute-il.

Il souligne le caractère "emblématique" du cas haïtien. "Contrairement à l'intervention unilatérale en Irak, la mission en Haïti se fait dans le cadre multilatéral de l'ONU" , rappelle M. Walker. De même, "à l'OEA, les Etats-Unis doivent accepter la logique collective, leur vote compte autant que les autres, poursuit-il. L'élection du Chilien José Miguel Insulza au secrétariat général de l'OEA, l'a montré" . Pour la première fois, l'Amérique du Sud a imposé à Washington son candidat ­ un socialiste ­, et non l'inverse. Désormais, l'OEA devrait agir préventivement, "éviter les incendies, plutôt que de les éteindre" , suggère M. Walker.

Paulo A. Paranagua