lundi, mai 02, 2005

Opinion : De la bonne gouvernance

Au-delà des quatre types d'Etats – l'Etat gendarme, libéral dans la première moitié du XIXe siècle, qui intervient peu dans les domaines économique et social ; l'Etat organisateur de la nation qui renforce la cohésion sociale et la puissance nationale ; simultanément et jusque dans les années 1920, l'Etat protecteur des secteurs économiques et sociaux ; l'Etat providence, keynésien, modernisateur, qui s'annonce avec la crise des années trente – l'Etat, d'une manière générale, s'efforce à travers ses multiples prérogatives et fonctions de veiller au tandem progrès économique/progrès social, principe, aujourd'hui, remis en cause sous la pression de la mondialisation.


Actuellement, la société a besoin d'un modèle d'Etat à la fois soucieux du développement économique et de cohésion sociale, pour pallier la crise ; d'ailleurs “gouverner, c'est prendre des décisions, résoudre des conflits, produire des biens publics, coordonner les compétences privées, réguler les marchés, organiser les élections, extraire les ressources, affecter les dépenses” notait Jean LECA.

Il est vrai que l'harmonie n'est qu'une illusion d'optique, une façade et un décor. Qu'elle est fondamentalement le fruit du postulat de relativité. Que les individus, leurs opinions et leurs actes –isolément ou ensemble- ne dessinent aucune figure qui soit inspirée par une rationalité claire ou homogène et qu'il n'est pas simple de préciser l'influence qu'ils peuvent avoir sur un quelconque pouvoir.

Que la démocratie n'est pas un régime: elle est un état des choses et des esprits, elle est une ambiance qui peut vivre et s'épanouir dans une monarchie, comme dépérir dans une république. Qu'elle suppose une certaine qualité de personnes, une certaine qualité des opinions et une certaine qualité d'actes. Que la démocratie est un exercice qui doit produire, en permanence, la lisibilité et la visibilité sur la société.

Mais pour que le débat démocratique soit de qualité, il faut aussi contrôler les effets des politiques menées, d'ailleurs, le contrôle démocratique est celui qui, par le langage, conforte ou récuse le comportement des détenteurs du pouvoir, pour vérifier non pas s'ils expriment les volontés individuelles du moment, mais si quantitativement et qualitativement, le principe de relativité est bien appliqué dans la vie réelle.

Le critère de la vie démocratique réside, en fait, plus dans le style des institutions que dans leur structure, elle peut être considérée comme une musique de fond d'une représentation collective humaine, la notion de représentation démocratique suppose, ainsi, que le détenteur du pouvoir soit le délégué des non-détenteurs : implicité est, évidemment, l'idée que tout pouvoir a besoin d'être justifié et qu'aucun pouvoir ne peut être délégué quand il n'est pas détenu.

Par ailleurs, la liberté et la diversité des manifestations d'opinion qui sont indispensables, ne suffisent pas, pour autant, à constituer la démocratie, d'autant que l'éparpillement des volontés individuelles empêche la formation d'une volonté collective.

Ainsi, la démocratie ne dépend pas plus d'une constitution, de textes de lois ou de référendums, ni même de leur application, que d'un état d'esprit ; de même, les volontés formelles des individus, qu'elles soient d'incitation, de résistance ou d'abstention, même si additionnées, elles forment une majorité numérique, ne constituent pas, cependant, une volonté collective et donc une démocratie.

Il en résulte, que définir la dictature uniquement par l'absence de consentement majoritaire déclaré au pouvoir constitue un pur formalisme : chacun sait que toutes les dictatures, au moins dans leur phase de réussite, ont obtenu dans les consultations populaires, des majorités impressionnantes. L'élément essentiel de la qualification est plutôt le contenu social du régime et notamment son attitude vis-à-vis des personnes.

Le refus de la laideur du pouvoir s'y trouve exposé à la face des décideurs, dans la mesure où le pouvoir a immobilisé en incarcérant – dans la douleur - la tendresse, la compassion et la solidarité, ce qui engendre un intense mécontentement, qui ne cesse de se manifester avec force, à l'égard des autorités, ce qui accentue la nécessité de débats sur leur rôle et leur efficacité.

D'ailleurs, le chaos instauré par la contestation multipliée des légitimités peut – par un retour paradoxal, mais compréhensible et un souci de cohérence et d'harmonie – exalter des légitimités radicales, telles les légitimités jugées dépassées dans la deuxième moitié du vingtième siècle, notamment l'extrémisme religieux et qui est présenté comme une sorte de beauté morale retrouvée, faisant contraste avec ce qui est présenté comme les laideurs du monde environnant et la vie quotidienne.

En effet, l'idéologie religieuse tend à abolir les contradictions par une rationalité supérieure : au chaos insupportable que l'esprit critique individuel reconnaît dans l'apparence des choses, substituer une harmonie transcendante : idéologie est, donc, plus faite pour dissimuler les contradictions que pour les exprimer ; cependant, c'est la jonction de la légitimité et de la vérité qui fait que la vérité soit perçue comme un devoir, auquel nul ne saurait échapper sans être coupable.

De même, puisque le pouvoir est le nom prêté à une situation stratégique complexe dans une situation donnée, sa rationalité résulterait de la coordination de tactiques loquaces. En tout cas, la volonté des individus ne saurait être l'origine du pouvoir politique, c'est l'injection dans le pouvoir de valeurs existantes dans la collectivité où il s'exerce qui fait le pouvoir politique ; d'ailleurs, il faut une grande dose d'illusion à un individu pour croire sérieusement que c'est lui qui attribue le pouvoir dans un groupe quel qu'il soit, car sauf cas de démence, une personne ne détenant pas un pouvoir ne peut prétendre qu'à une portée très limitée de sa propre volonté.

Parce que l'évaluation d'une politique revient à apprécier son efficacité, en comparant ses résultats aux objectifs assignés et mis en œuvre, la crise de la légitimité de l'action publique accroît, donc, l'exigence de rationalité et de transparence des politiques ; de même, le développement de nouvelles formes de gouvernance et la multiplication des niveaux de décision incitent à développer des relations qui se prêtent à l'évaluation, notamment les partenariats et les contractualisations et ce, pour mesurer l'efficacité des politiques, leur efficience, leur pertinence et leur impact. Cette évaluation permettra d'impliquer, davantage, les acteurs publics dans la mise en œuvre de toute politique et de se donner les moyens pour mieux comprendre la logique et mieux s'en approprier les objectifs.

L'efficacité d'un acte, réside dans le pouvoir qu'a cet acte d'aboutir à un résultat, mais ce résultat peut correspondre ou non à un but prédéterminé ; en fait, le pouvoir est une réalité qui a besoin d'une valeur et les deux éléments ne doivent pas être dissociés, mais unis, Pascal ne disait-il pas que la justice sans la force est impuissante et que la force sans la justice est tyrannique.

Bien souvent, c'est au nom du bien-être du peuple et de l'harmonie, que celui-ci passe d'une dépendance à une autre et c'est aussi au nom de l'harmonie que des révolutionnaires sont anéantis par plus révolutionnaires qu'eux, car la nudité des contradictions entraîne la nudité du pouvoir, qui devient le symbole de la dysharmonie ; d'où l'opportunité de questions lancinantes : pourquoi le pouvoir politique, économique, religieux, social ou culturel prétendant lier l'idéal à l'efficacité, continue-t-il de produire une impression presque inévitable d'exagération ou de contrainte ? Pourquoi même quand il se pare des somptuosités de l'apparat, de la cérémonie et de la fête, ne provoque-t-il chez l'homme libre que malaise, indignation, colère et mépris ? Par ailleurs, qu'est-ce qui permet de banaliser, de normaliser et de faire accepter des faits et des devoirs parfois irrationnels ou inhumains en les dignifiant ? Enfin, qu'est-il advenu de la conception athénienne de la démocratie, fondée sur la vertu et créatrice de bonheur ?

L'opportunisme est plus que jamais de rigueur et les détenteurs du pouvoir s'installent, de plus en plus, confortablement dans les fauteuils de la décision et ne ratent aucune occasion pour en profiter et, donc, accentuer les dysfonctionnements et les antagonismes lequels, en l'absence de systèmes de contrôle, ne peuvent générer qu'errements et périls.

Par Mohamed Haddy, 01.05.2005

* Mohamed Haddy - est professeur de l'enseignement supérieur à l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme, Rabat