mercredi, octobre 05, 2005

Les fonds éthiques : OVNI économique ?

CET ARTICLE EST UN EXTRAIT D'UN TRAVAIL DE RECHERCHE UNIVERSITAIRE RÉALISÉ DANS LE CADRE D'UN COURS À L'UNIVERSITÉ DE LA MÉDITERRANÉE ET CO-RÉDIGÉ EN 2003 PAR Romain TURSI (Auteur de l'article), Patrick VERGER et Mike CARAWIANE. Romain TURSI, Trésorier et Administrateur fondateur de Netalternatif, Ass. Loi 1901, Directeur de la publication du Daily Jungle, http://www.netalternatif.com ;
http://www.dailyjungle.com

Texte mis en ligne sur les colonnes du Daily Jungle, dont l'un des auteurs est le Directeur de la publication, que le 12 septembre 2005, il a en revanche été rédigé bien plus tôt en mars 2003.


TOUS DROITS RÉSERVÉS AUX AUTEURS

L'article complet peut être consulté sur http://www.dailyjungle.com/
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Les fonds éthiques représentent, en quelque sorte, la bête curieuse du monde de l’économie et de la finance. En effet, comment ne pas percevoir au premier abord l’hétérodoxie économique de cette notion à la lumière de la pensée des auteurs néoclassiques, tel Milton Friedman.

En effet, comme s’interroge Joaquim Oliveira de l’OCDE, « au sein du paradigme économique classique, comment peut-on introduire les questions de l’équité ou de l’éthique ? » [1].

Et pourtant, il existe bien un marché des produits financiers éthiques et un champ d’action pour l’ensemble de l’investissement responsable. Un champ toujours plus large au fil des crises sociales et environnementales qui se sont succédées ces dernières décennies.

Selon le dictionnaire hachette, l’éthique est ce « qui concerne la morale », et la morale est définie comme « l’ensemble des principes de jugement et de conduite qui s'imposent à la conscience individuelle ou collective comme fondés sur les impératifs du bien; cet ensemble érigé en doctrine. Morale épicurienne, chrétienne. ».

Des définitions qui ne manquent pas de laisser perplexes quant à la possibilité de s’accorder unanimement sur les idées qui les sous-tendent, tant le débat autour des notions de Bien ou de Mal ont agitées des générations de philosophes ou de religieux.

Aussi, nous tenterons à travers cette réflexion de décrypter ce mouvement de l’investissement responsable.

I. Historique et contexte de l’apparition de l’investissement responsable

L’introduction de la variable éthique dans la finance n’est pas un phénomène nouveau. Bien avant l’apparition des premiers fonds éthiques, on peut noter la présence de cette notion dans le comportement de certains investisseurs. En effet, la notion d’éthique est intimement liée à celle de la morale. Or, de tout temps les religions ont érigé des principes moraux visant à encadrer la conduite de leurs fidèles.

C’est ainsi, par exemple, que l’on retrouve de nombreuses préconisations sur la façon d’investir selon l’éthique dans la Halakha, loi normative du judaïsme, qui rejette le concept d'un chalia'h lidvar 'aveira (" intermédiaire chargé d'exécuter des actes interdits ") [2]. En outre dès le XVIIIème siècle, John Wesley, fondateur de l’Eglise Méthodiste, « mettait l’accent sur le fait que l’emploi de l’argent était le second sujet le plus important parmi les enseignements du nouveau Testament », comme le souligne le Social Investment Forum [3], et en tirait directement les conséquences dans ses recommandations (« Ne pas distribuer de produits qui engendrent la dépendance, ne pas en tirer profit »). De même les Quakers, une congrégation religieuse nord américaine, depuis leur création, refusent d’investir dans les secteurs de l’armement ou de l’esclavage. De nombreux religieux se détournent des actions du péché (« Sin stocks »), c’est-à-dire des sociétés intervenant dans les secteurs de l’alcool, du tabac et des jeux de hasards [4].

C’est donc de la volonté de concilier investissement financier et morale religieuse que sont nées au sein des congrégations religieuses, principalement aux Etats-Unis, les premières pratiques coordonnées visant à introduire des notions extra-financières dans la sélection (screening) de la destination des investissements. Le but étant clairement d’exclure du champ de leurs placements toute société dont l’objet se détourne de leur conception de la morale, car, par exemple, « si boire est un péché, en tirer profit était un péché encore plus grave » comme le rapporte Eric Loiselet du cabinet Terra-Nova Conseil à propos de la création du Pionneer Fund en 1928 [5].

Si dans un premier temps, et jusque dans les années 1960, la notion d’éthique dans l’investissement était le seul fait des congrégations religieuses et de leurs principes moraux, on note par la suite que l’intégration de préoccupations extra-financières dans les décisions de placements s’est élargie à de nouveaux cercles sociaux-culturels. Des cercles dont le souci était aussi de ne pas cautionner, ni tirer profit de comportements économiques dont ils réprouvent l’existence et les conséquences. C’est ainsi que dans un climat d’ébullition sociale et environnementale s’est accrue la prise de conscience sur la responsabilité sociale des entreprises.

En effet, aux Etats-Unis, de plus en plus d’investisseurs ont commencé à sélectionner leurs placements en portant une plus grande attention chez les entreprises quant aux relations sociales, au respect des Droits de l’Homme, ou aux conséquences écologiques. Une plus grande attention qui s’est rapidement traduite par le besoin d’intermédier ces contrôles, aussi, en plein contexte de guerre du Vietnam le Council On Economic Prioritities s’attachera à recenser les firmes impliquées dans le conflit [6].

Outre le conflit vietnamien, un des autres contextes majeurs de l’histoire de l’investissement responsable est celui de l’opposition au système raciste de l’apartheid qui sévissait en Afrique du Sud. On peut en effet attribuer une part de responsabilité non-négligeable au retrait massif des investisseurs comme levier de pression à l’encontre du régime de Johannesburg. A cet effet, un indice, le Safe ( South Africa Safe Equity), regroupant les valeurs boycottant ce régime fut même mis sur pied en 1980 par une banque de Boston. Dans le même temps, en 1977, apparurent les Principes Sullivan, du nom d’un prêtre administrateur de General Motors, qui eurent pour but de lutter contre le racisme [7].

Après avoir connu son réel essor pendant l’épisode de la lutte anti-apartheid, l’ investissement responsable s’est engagé dans le champ des combats écologiques dans le sillage de catastrophes comme celle de Tchernobyl, de Bhopal, ou du pétrolier Exxon Valdez, mais aussi dans le cadre de l’inquiétude relative au réchauffement climatique. Ainsi, au-delà d’une bonne rentabilité financière, nombre d’investisseurs exigent désormais aussi une bonne performance sociétale et environnementale.

Selon le Social Investment Forum, les sommes investies suivant des critères de responsabilité sociale aux Etats-Unis ont connu une forte croissance sur la fin de la dernière décennie, les en-cours passant de 639 Milliards de dollars en 1995 à 1185 en 1997 puis 2 160 Milliards de dollars en 1999, soit plus de 80% de croissance sur la dernière période, soit une croissance deux fois plus forte que celle de l’ensembles des actifs gérés aux Etats Unis. Un volume qui est à rapporter aux 16 300 Milliards de dollars investis dans des actifs gérés professionnellement aux Etats Unis en 1999 [8].

Aussi, après avoir émergé outre-atlantique dans les années 1920, il aura fallu attendre près de soixante ans pour voir une institutionnalisation de l’investissement éthique sur le vieux continent. C’est en premier lieu au Royaume-Uni qu’on voit s’implanter les fonds éthiques, avec la création du Friends Provident [9] dont l’essor est favorisé par le développement des fonds de retraite par capitalisation (fonds de pension) [10]. 1983 verra naître le premier fonds éthique français géré par la Financière Meeschaert sur une demande de l’association Ethique et investissement que préside Soeur Nicole Reille [11]. Cependant, l’engagement de la société civile en faveur d’une économie éthique trouve également ses fondements dans des traditions bien ancrées dans notre société telles que le mouvement mutualiste, l’aide au développement, et plus généralement l’action caritative, qu’elle soit d’origine religieuse ou laïque [12].

Enfin on ne peut pas appréhender une généalogie de l’investissement responsable sans aborder l’évolution de l’activisme actionnarial qui représente lui aussi un pan essentiel de la donne éthique. Conséquence directe de l’essor du modèle de la grande entreprise (trusts) et du problème que celle-ci soulève en matière de pouvoir des actionnaires [13] sur les mangers, l’activisme actionnarial à caractère éthique apparaît pour la première fois chez Kodak en 1967, aux Etats-Unis. Sous la houlette de Saul Alinski et regroupés au sein de l’association Flight, des citoyens acquièrent des actions de la firme afin d’utiliser son assemblée générale comme une tribune de contestation des pratiques salariales de Kodak et de demander la résolution de ce problème social. Par la suite, on notera aussi l’initiative de Ralph Nader avec la création en 1970 du Project for Corporate Responsability, dont la première action fut la proposition de neuf projets de résolutions responsables au sein de l’A.G. de General Motors [14].

Ces premières initiatives ne débouchèrent pas sur des décisions concrètes au sein des assemblées générales, mais eurent le mérite d’attirer l’attention sur des problèmes sociaux, ce qui était l’objectif premier du shareholder activism tel que le conçoivent Saul Alinski et Ralph Nader. En effet, les résolutions radicales présentées n’obtinrent guère plus de 3% des votes. En revanche, d’autres formes plus modérées d’activisme actionnarial initiées par les congrégations religieuses se donnèrent les moyens d’aller au de là du simple aspect médiatique. En effet, certains devinrent des acteurs incontournables que les administrateurs ne purent négliger comme en atteste l’efficacité de la campagne de l’ICCR (Interfaith Center on Corporate Responsability) à l’encontre des firmes pharmaceutiques pour que celles-ci appliquent dans les pays du Tiers monde les mêmes normes sanitaires qu’aux Etats-Unis [15].

Après avoir porté un éclairage succinct sur les racines de l’investissement responsable, abordons présentement plus en détails les différents mécanismes qui le régissent ainsi que leur(s) finalité(s).

II. Les Fonds éthiques : une appellation non contrôlée [16] dans le champ des investissements responsables

L’ investissement responsable se manifeste de manière hétérogène, ainsi la multiplicité des conceptions éthiques et de leurs déclinaisons pratiques, nécessitent d’analyser l’ investissement responsable suivant plusieurs angles.

Les contextes nationaux peuvent expliquer d’importantes différences dans les approches ; comme c’est le cas entre les Etats-Unis et la France. Le recours à des qualificatifs différents pour expliquer les démarches (éthique, équitable, solidaire…) signale, au-delà de la sémantique ou des différences de critères et de grilles d’analyse, des démarches qui diffèrent fondamentalement.

La finance éthique repose sur le respect de critères déterminés notamment par des agences de notation. Ces critères de l’équité – voire de la moralité – varient, selon les systèmes de référence des acteurs eux-mêmes. Renvoient-ils à des choix du constructeur d’indice ? de l’actionnaire (voire du salarié-actionnaire) ? des ONG et organisations religieuses ? du consommateur ?… De fait, les critères suivis reposent sur des modèles implicites qui se retrouvent tout autant dans les choix qui président à la traduction de ces critères en indicateurs mesurables que dans leur pondération et hiérarchisation [17].

De fait, il n’existe pas de définition officielle unanimement reconnue. Jusqu’à présent, seul le Royaume-Uni, s’est risqué à donné une définition légale de ce qu’est l’investissement socialement responsable : « l’investissement socialement responsable prend en compte des considérations sociales, environnementales, ou éthiques dans la sélection, la conservation, et la liquidation du placement exercé et exerce les droits attachés à la détention des titres, comme le droit de vote, de façon responsable [18]». Cette norme formelle a été élaborée dans le cadre d’une législation plus générale sur les fonds de pensions, lesquels sont obligés depuis le 1er juillet 2000 de déclarer leurs critères de sélection des supports d’investissements ainsi que leur politique d’exercice des droits de vote.

Elle nous permet d’entrevoir deux axes majeurs dans la considération de la responsabilité dans l’investissement responsable. Dans un premier temps la responsabilité dans la sélection des destinataires des placements, et dans un second temps, la responsabilité en tant que détenteurs de titres, ce qui nous conduira à aborder la pratique de l’activisme actionnarial (§2.3) lorsque les supports du placement sont des actions.

Mais cette définition montre aussi le flou qui entoure la notion d’éthique qui semble ici une notion juxtaposée aux notions de responsabilité sociale et environnementale alors que d’autres considèrent qu’elle les inclue.

Aussi, bien que les Britanniques aient légiféré sur l’investissement responsable dans le cadre de la problématique des fonds, nous verrons que l’ investissement responsable ne passe pas impérativement par le biais d’un fonds. (§2.1).

2.1 Investissement direct ou par le biais d’OPCVM ?

Le moyen le plus classique et le plus ancien à la disposition de l’investissement responsable est celui de l’investissement direct. Il consiste pour l’investisseur à effectuer ses choix d’entreprises suivant ses propres critères financiers et extra-financiers, puis à investir de manière directe dans les entreprises concernées. Ces investissements se traduisent par l’utilisation des instruments financiers classiques tels que les actions ou les obligations... Il s’agit donc d’utiliser les supports d’investissements directs courants, la différence se faisant uniquement sur la sélection des destinataires de ces investissements.

Outres les instruments d’investissements directs, les marchés financiers sont aussi composés d’Organismes de Placements Communs en Valeurs Mobilières (OPCVM). Créés par des banques ou des institutions financières, les OPCVM permettent à l’investisseur d’effectuer des placements sur un produit financier diversifié sans se soucier de sa gestion. Chaque part d'OPCVM correspond à la combinaison des différents titres détenus par l'organisme. Ces placements ont l'avantage de dédier la gestion des avoirs à des professionnels des marchés financiers en fonction des supports choisis. Au sein des OPCVM, on distingue les Sociétés d’Investissement à CApital Variable (SICAV) et les Fonds Communs de Placements (FCP). Le nombre d'actions d'une Sicav ou de parts de FCP varie en fonction de la demande des souscripteurs [19].


2.2 Sélection par adhésion ou exclusion ?


La sélection des entreprises destinataires des investissements peut se faire selon deux principes. Un principe d’adhésion ou un principe d’exclusion. Initialement, c’est la méthode de l’exclusion qui était la plus pratiquée du fait des congrégations religieuses qui ne souhaitaient pas placer leur argent dans telle ou telle entreprise mais qui ne souciaient que de ne pas se compromettre avec certaines entreprises. Cette technique assez répandue et qui s’appuie sur l’information extra-financière pose cependant deux limites évidentes : à partir de quel niveau peut-on considérer qu’une entreprise est socialement responsable ou pas [20]? Et surtout dans quelle mesure les entreprises considérées comme socialement responsables peuvent-elles commercer avec d’autres entreprises ?
Cette seconde limite est stigmatisée par la crainte qu’exprima la religieuse Soeur Danièle, économe des Xavières dans un article paru dans le Monde en juin 2000 :
« Je refuse Matra à cause de l'armement, mais qui peut me garantir que telle société japonaise que l'on me recommande n'a pas une filiale qui fabrique les petits boulons nécessaires aux canons ? Je pensais utile d'investir dans un labo pharmaceutique en choisissant Pfizer. Jusqu'à ce que je découvre qu'il cartonnait grâce au Viagra... » [21].

Par ailleurs, si l’exclusion répond à la stratégie de certains investisseurs, d’autres optent pour une sélection positive (adhésion) qui consiste à sélectionner les entreprises dans lesquelles ils souhaitent investir. Ce choix peut se traduire par deux comportements biens distincts et répondre à deux stratégies différentes.

D’une part, l’investisseur, ou le gestionnaire auquel il aura confié son argent, pourra, décider de « récompenser » les sociétés socialement responsables en investissant chez elles. Le but poursuivi dans ces stratégies étant de priver de financement les firmes considérées comme socialement irresponsables, de façon à les contraindre à ne pas négliger leurs responsabilités ou, de manière plus improbable, à les faire péricliter si elles n’obtempèrent pas. Cette stratégie, comme celle d’exclusion, repose sur la méthode du screening multicritères (cf. §2.3).

D’autre part, et au contraire, l’investisseur peut décider de concentrer son investissement sur des sociétés dont il réprouve le comportement de manière à obtenir un poids suffisant dans celle-ci pour y faire entendre sa voix comme nous l’avons vu précédemment chez les firmes Kodak ou General Motors. Cette stratégie relève de l’activisme actionnarial que nous développerons au travers d’autres exemples plus contemporains ci-après (cf.§ 2.3).


2.3 Les pratiques des Investisseurs Responsables


Comme le laissaient transparaître les méthodes de sélection des firmes réceptrices des placements, deux grandes stratégies de méthodes émergent : l’activisme actionnarial et le screening multicritères.

L’activisme actionnarial

L’activisme actionnarial consiste en une opération qui tend à médiatiser un problème ou à infléchir la politique de l’entreprise. Cette stratégie nécessite l’obtention de droits d’expression au sein des firmes concernées, ce qui conduit naturellement à orienter l’investisseur vers des placements actions lui permettant de disposer de droits de votes afférents à ces dernières et de la présence au sein des assemblées générales. L’acquisition massive d’actions de la firme, généralement sous forme d’investissement direct par des structures associatives en est le chemin le plus fréquent bien que des sociétés de gestion de fonds s’y prêtent aussi à la demande de leur client.

Ainsi, le débat autour des responsabilités sociales et environnementales s’installe de fait dans les assemblées générales. Comme le constate le CFIE (Centre Français d'Information sur les Entreprises) dans une étude réalisée pour l’ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises), au cours de trente-huit A.G. d’entreprises du CAC 40, en 2001, une question sur six (soit 295 questions [22]) a concerné la responsabilité sociale et environnementale des entreprises. Soit une progression de près de 25 % par rapport à 2000 et de 40 % par rapport à 1999. Les questions ayant trait à la gouvernance d'entreprise ont représenté 42 % du total, à la politique sociale, 25 %, aux relations avec la communauté, 13 %, à l'utilité sociale des activités, 11 %, et à l'environnement, 9 %. Sur tous ces thèmes, les actionnaires privilégient les questions orales aux questions écrites et interrogent les dirigeants sur des faits précis plutôt que sur la politique générale du groupe. Ce volume croissant de débat sur les thèmes de la responsabilité de l’entreprise reste cependant surtout le fait des associations et ONG, en effet, les investisseurs institutionnels montrent encore beaucoup de réticence à se servir pleinement de leurs droits d'actionnaires. Au cours des trente-huit A.G., une seule question sur la responsabilité sociale des entreprises a été posée par un investisseur institutionnel [23].

Hors de France, l’association SANE BP (Shareholders Against New oil Exploitation) est un exemple concret de structure associative dont la vocation est l’activisme actionnarial. Créée à l’initiative de Greenpeace et d’un groupe d’autres investisseurs soucieux de la question environnementale à l’issue d’une l’assemblée générale en 1999, SANE BP intervient désormais lors de chaque A.G. afin d’influer sur les décisions de la British Petroleum. Son action passe tout autant par la proposition de résolutions que par le lobbying auprès des autres actionnaires afin de faire avorter les projets à risque pour l’environnement et d’orienter la firme pétrolière vers les énergies renouvelables [24].


Le screening multicritères

A l’inverse de l’activisme actionnarial, le screening multicritères est un moyen plus souvent intermédié faisant appel à des gestionnaires de fonds institutionnels (OPCVM). En effet, c’est une stratégie qui requiert une meilleure connaissance des marchés financiers puisqu’elle s’apparente en de nombreux points à de la gestion de portefeuilles classiques. La principale différence se faisant dans l’ajout de paramètres (screens) supplémentaires dans la sélection. Ces paramètres peuvent être de natures différentes selon les gestionnaires. Ces derniers peuvent soit pratiquer l’exclusion, dans ce cas, ils limiteront le panel des entreprises susceptibles d’intégrer leurs portefeuilles, soit combiner indicateurs de rentabilité financière et de rentabilité sociale dans leurs programmes de modélisation à optimiser [25].

Dans tous les cas le screening multicritères renvoie à une problématique d’évaluations des entreprises, que ce soient pour la constitution de panels ou pour intégrer des données extra-financières dans les modélisations. Pour cela les gestionnaires font le plus souvent appel à des organisations externes (agence de notation ou rating social,…) pour produire ces informations.

Une autre caractéristique du screening multicritères est qu’il autorise un champ de support de placement plus vaste que l’activisme actionnarial. En effet, alors que l’activisme actionnarial est quasi-exclusivement centré sur le marché des actions de part le besoin de droits d’expression, le screening multicritères dispose d’un éventail de solutions de placements plus ouvert à travers le marché des actions, mais aussi celui des obligations, ainsi que les marchés monétaires. Aucun marché financier n’est à priori exclu.

Enfin, notons qu’en France, le premier institutionnel à avoir commercialisé un « produit éthique » est la Financière Meeschaert, avec le lancement en 1983 de Nouvelle Stratégie 50 sur la demande d’une religieuse chargée de la gestions des finance de sa congrégation, Soeur Nicole Reille [26]. Ce fond repose sur le principe de l’exclusion (armement, alcool, tabac, pornographie).


2.4 Les finalités de l’investissement responsable

Après avoir visité les différents mécanismes de l’investissement responsable, il convient pour appréhender toutes les dimensions de sa dynamique de développement de s’intéresser aux finalités qui animent les investisseurs de la sphère « responsable ». Pour cela il est nécessaire d’opérer une distinction entre deux grands types d’investissements responsables : les investissements éthiques et les investissements solidaires, dont les vocations sont sensiblement différentes.

Pourtant, la confusion entre ces deux axes existe. « On a trop souvent tendance à assimiler placements éthiques et solidaires. Or ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas parce que l'on exclut de son champ d'investissement l'industrie de l'armement ou du tabac, que l'on est sur le terrain de la solidarité », précise Pauline Grosso, secrétaire générale de Finansol [27]. Cependant, en pratique, la distinction entre ces deux grands type de placements responsables s’avère parfois difficile : c’est ainsi qu’il existe des fonds à la fois éthiques mais aussi solidaires, ce qui est le cas du fond Faim et Développement du Crédit Coopératif [28]

Les placements solidaires

Les placements solidaires (ou de partage) ont pour vocation soit de reverser tout ou partie des revenus générés à un organisme humanitaire ou à une association, soit de « fournir des capitaux à des personnes qui ont des difficultés à lever des capitaux par le biais des canaux conventionnels » [29]. En effet, les souscripteurs de ces placements mettent leurs capitaux au service d'une bonne cause (jouant en quelque sorte le rôle de « capitaux-risqueurs moraux »), soit qu'ils acceptent de faire un sacrifice sur leurs gains financiers, soit qu'ils sélectionnent les cibles de leurs investissements [30].

Les placements éthiques

Les placements éthiques révèlent un souci relatif aux pratiques des entreprises destinataires des capitaux, cependant ils n’ont pas vocation à abandonner la recherche d’une rentabilité financière : ils associent cet objectif financier à des principes sociaux, moraux, ou environnementaux. [31]
En 2001, la revue Challenges distinguait trois grandes famille à l’intérieur des fonds éthiques : les « religieux », s’interdisant d’investir dans les valeurs d’armement, d’alcool, de tabac ; les « verts » n’achetant que des titres de sociétés respectant l’environnement ; enfin les fonds qui s’intéressent au « développement durable » [32] sur la base des informations émises par les organismes d’évaluation.


III. Des perspectives d’harmonisation de la notion d’investissement responsable ?

Quels placements relèvent de l’investissement responsable ? Comme nous l’avons vu auparavant, les bornes entre les différentes déclinaisons au sein même de cette sphère sont déjà plus que floues, il en est de même pour ce qui concerne la frontière responsable / non-responsable.

En effet, comme en atteste Frédéric Lorenzini, rédacteur en chef de Morningstar France:
« il n'est pas toujours facile de discerner ce qui relève de l' investissement socialement responsable … Classant les fonds en terme d'allocation géographique, sectorielle, de capitalisation ou de classe d'actif, un fournisseur d'informations sur les fonds comme Morningstar ne dispose pas pour l'heure d'une catégorie spécifique pour les fonds de type investissement socialement responsable. Ces derniers sont au contraire classés en fonction des actifs qu'ils détiennent en portefeuille : fonds actions Euroland grande capi, Mixte prudent, Monétaire dynamique, etc. Cette situation devrait perdurer encore un certain temps car il est difficile aujourd'hui de définir ce qui relève, ou pas, de l'investissement ISR tant les avis sont partagés et les définitions élastiques...» [33]

En effet, faute de normes juridiques légales (ou hard law), c’est de l’accumulation de normes privées (ou soft law) que ressortent les concepts responsabilité des firmes, et donc d’investissement responsables.

Du côté des instruments, Laurence Boisson de Chazournes de la faculté de Droit de Genève, à l’occasion du colloque « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001, nota l’existence de plusieurs générations de codes de conduite :

  • La première génération, dans les années 1970, fut celle des codes de conduite à dimension politique (époque du Nouvel ordre économique international, interrogations sur le rôle des multinationales, en particulier dans la chute du président Allende au Chili). Sont alors discutés des codes de conduite à l’intention des multinationales, leur interdisant de se mêler à la politique dans les pays d’implantation. Ce code n’a jamais vu le jour aux Nations Unies. C’est aussi l’époque de l’apartheid en Afrique du Sud et des principes Sullivan. Les entreprises commencent à être questionnées sur leur comportement.
  • La deuxième génération concerne les codes de conduite promotionnels, visant à faire évoluer les pratiques : principes sur l’environnement, code de conduite de la Chambre de commerce international sur le développement durable, à partir du rapport Brutland, etc. De même, les négociations collectives constituent d’importants chantiers de productions de normes. Neuf accords professionnels ont été négociés au niveau international, dont sept au cours des trois dernières années.
  • La troisième génération est symbolisée par le Global Compact, initiative lancée par le secrétaire général de l’ONU pour passer une alliance avec le secteur privé. Les grandes entreprises qui le désirent, soucieuses de leur réputation, s’engagent à respecter des normes en matière de droits de l’homme, de droits du travail, etc. Les sanctions décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies, la constitution de panels d’experts, ont également poussé les acteurs du marché du diamant à s’organiser.

Laurence Boisson de Chazournes observe donc de nouvelles pratiques qui pourraient préfigurer une lex. ethica à venir. Le principal problème est celui de sa relation à la norme publique, déficiente, et de l’interprétation judiciaire de ces nouvelles pratiques [34].


En conclusion, les fonds éthiques sont le fruit d’initiatives hétérogènes dont le seul point en commun était l’intégration de notions extra-financières en adéquation avec le corpus de valeurs de l’investisseur (ou épargnant).

Ainsi, rapidement la question d’une définition harmonisée de ce que sont les fonds éthiques s’est posée, se heurtant cependant à la multiplicité de conceptions contradictoires de la morale. Aussi face à une problématique aussi inextricable que celle de s’accorder unanimement sur ce que seraient de bonnes valeurs ou de bonnes pratiques, la voie de la normalisation de la nature du « produit fonds éthique » ne constitue plus un objectif, sauf à relever d’une logique « éthos-centrique » vouée à l’échec et au relent de vieilles guerres de religions.

Afin de surmonter cette montagne, il semble que l’on s’oriente plus vers une harmonisation des normes de construction de l’information extra-financière à caractère sociétale (environnementale, sociale,…). En effet, celle-ci est nécessaire à une compréhension rationnelle des pratiques des entreprises, comme en témoigne le leadership du Global Reporting Initiative dans le domaine du reporting sociétal. Une initiative qui bénéficie même du soutien de l’ONU au travers du Global Compact.

Cependant comme le rappelait Jean Daniel Gardère, Directeur général du Centre français du Commerce extérieur en décembre 2001 , « l’ORSE a repéré une corrélation entre l’origine nationale des agences de notation et leurs choix. C’est ainsi que sur 79 entreprises de l’Euro Stoxx, 52 % ont été classées “responsables” par l’indice européen ASPI développé par ARESE, la principale agence de notation française, tandis que 20 % seulement l’étaient dans le cadre du FTSE4 Good, émanation de l’EIRIS britannique. Les résultats sont comparables en matière de développement durable »[35].

Ce constat nous pousse de fait de nouveau devant le même problème de l’harmonisation de la notion du Bien, les valeurs éthiques de l’organisme de notation imprégnant de facto les techniques d’enquête, biaisant ainsi l’information produite.

Une information qui est, depuis les scandales financiers (Enron, WorldCom, Vivendi, pour ne citer que les plus médiatiques), au coeur des préoccupations de tous les acteurs de la finance et dont la fiabilité reste le souci majeur. Ce qui tendrait à nous convaincre que, malgré l’imperfection de cette voie, la normalisation de la production d’informations à destination des acteurs des marchés éthiques représente le chemin à suivre.

Dans cette optique, il semble essentiel d’associer encore plus largement des organisations inter-gouvernementales dans cette démarche afin d’éviter d’aboutir à la création d’une multitude de soft law au détriment d’une convergence des initiatives.

En outre, il apparaît nécessaire par souci d’honnêteté intellectuelle de prévenir qu’il appartient d’appréhender avec prudence toute analyse relative à la performance des fonds éthiques, tant celle-ci serait est sujette à de nombreux biais. Que ce soit du fait de l’absence d’information homogène ou bien de la relative récence de cet objet d’analyse, privant toute tentative d’examen des fonds éthiques du recul nécessaire à un jugement équilibré et avisé.

Pour terminer sur une note cynique, rappelons qu’en parallèle des fonds éthiques se sont développés au cours de la dernière décennie des Vice Fund dont l’objet est d’investir dans les domaines de l’alcool, de l’armement, du tabac et du jeu. [36] Et à croire les statistiques dont se targuent les gestionnaires de ces fonds, mieux vaut choisir le diable... Certains apprécieront ce qui représente un contre-pied aux fonds de la vertu, tandis que d’autres trouveront cette initiative désobligeante... mais après tout, à chacun son marketing...





Sources de l'article

[1] Joaquim Oliveira - Extrait de la synthèse du colloque organisé par le CERI Sciences Po : « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001. page 9
[2] Article «La responsabilité de l'actionnaire : Le judaïsme jette-t-il sur elle un voile ? » du Dr Meir TAMARI - Traduction et adaptation de Jacques KOHN – paru sur le site lamed.fr le 9 déc. 2002- disponible sur : www.lamed.fr/
[3] « Rapport 1999 sur l’Investissement Socialement Responsable aux Etats Unis » de Steve Schueth & Alisa Gravitz - 4 Novembre 1999 – disponible sur : www.socialinvest.org
[4] « Rapport 1999 sur l’Investissement Socialement Responsable aux Etats Unis » de Steve Schueth & Alisa Gravitz - 4 Novembre 1999 – disponible sur : www.socialinvest.org
[5] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 2.
[6] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 2.
[7] Les six Principes Sullivan : non-ségrégation des races dans les bâtiments, traitement non-discriminatoire, salaire égal, programmes de formation pour les Noirs, accession des Noirs aux postes d'encadrement, amélioration des conditions de vie des employés
[8] « Rapport 1999 sur l’Investissement Socialement Responsable aux Etats Unis » de Steve Schueth & Alisa Gravitz - 4 Novembre 1999 – disponible sur : www.socialinvest.org[9 Rapport « les marchés de la vertu : la promesse des fonds éthiques et des micro-crédits » de Javier Santiso (CERI-Sciences Po) page 4 – Février 2001 – Disponible sur www.ceri-sciencespo.com/
[10] Article « L’origine des fonds éthiques » Paru le 04/10/2001 sur Novethic.fr. Disponible sur www.novethic.fr/
[11] Article « Les religieuses à l’assaut du CAC 40 » de Annick Cojean Paru le 02/06/2000 dans Le Monde.
[12] Bruno DELAYE – Intervention lors du colloque organisé par le CERI Sciences Po : « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001.
[13] Théorie managériale de Berle et Means (1932) – The Modern Corporation and Private Property, éd. McMillan, New York.
[14] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 4
[15] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 4
[16] Article « Réformer l’éthique financière » de Marc Eichinger, paru dans Banquemagazine, n° 629, octobre 2001 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 14
[17] Béatrice Pouligny & Javier Santiso - Extrait de la synthèse du colloque organisé par le CERI Sciences Po : « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001. page 1-2
[18] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 1
[19] Définitions de Boursorama.com. Disponible sur www.boursorama.com/
[20] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 2
[21] Article « Les religieuses à l’assaut du CAC 40 » de Annick Cojean Paru le 02/06/2000 dans Le Monde
[22] La Lettre de l’ORSE n°18 du 03/05/2002 – page 4. Disponible sur : www.orse.org/
[23] Article « Actionnaires actifs et A.G. » de Laurent Fargues paru sur Novethic.fr le 27/05/2002. Disponible sur : www.novethic.fr/
[24] Article « SANE BP, quand les associations se lancent dans l’activisme actionnarial. » de Mélanie Tremblay paru sur Novethic.fr le 18/12/2001. Disponible sur : www.novethic.fr/
[25] Article « La finance épouse l’éthique : le mariage du siècle » de Denis Dupré et Isabelle Girerd-Pontin, paru dans Banque magazine, n° 624, avril 2001 et repris dans Problèmes économiques n°2.720 du 04/07/2001 – page 19.
[26] Article « Les religieuses à l’assaut du CAC 40 » de Annick Cojean Paru le 02/06/2000 dans Le Monde.
[27] Article « Les fonds solidaires et éthiques ouvrent la voie d’une épargne morale» de Laurence Delain Paru le 26/09/1999 dans Le Monde.
[28] Article « Fonds éthiques et de partages pour faire de bonnes actions » paru dans Challenges – Février 2001- Page 140.
[29] Article « L’investissement socialement responsable : genèse, méthodes et enjeux » de Eric Loiselet, paru dans L’économie Politique, n° 7, 3ème trimestre 2000 et repris dans Problèmes économiques n°2.745 du 23/01/2002 – page 2
[30] Article « Les fonds humanitaires permettent d’épargner en se donnant bonne conscience » de Michel Turin paru le 31/01/1999 dans Le Monde
[31] Les Echos – Guide « les fonds éthiques fonds de partage » . Disponible sur : www.lesechos.fr/
[32] Article « Fonds éthiques et de partages pour faire de bonnes actions » paru dans Challenges – Février 2001- Page 140-141
[33] Article « Parlez-vous ISR ? » paru le 13/02/2003 sur Morningstar.fr. Disponible sur : www.morningstar.fr/;validfrom=2003-02-13
[34] Laurence Boisson de Chazournes - Extrait de la synthèse du colloque organisé par le CERI Sciences Po : « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001. page 8
[35] Jean Daniel Gardère- Extrait de la synthèse du colloque organisé par le CERI Sciences Po : « ENTRE ÉTHIQUES ET ÉCONOMIE – Enjeux, normes et acteurs - » le 12/12/2001. page 15
[36] www.vicefund.com/


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