vendredi, septembre 18, 2009

Le rebond de la croissance mondiale repose sur les BRIC

LE MONDE | 16.09.09

Le département du commerce américain a fait savoir que les ventes de détail avaient progressé de 2,7 % au mois d'août, leur plus forte hausse depuis janvier 2006. Si c'est le signe que le consommateur américain retrouve un peu d'appétit, les économistes sont aussi d'accord pour dire que la ménagère du Texas ne pourra plus jouer le rôle de moteur de croissance de l'économie mondiale, comme elle l'était depuis deux décennies. Le temps du désendettement et de l'épargne est venu pour les Américains. Ce n'est guère non plus sur la vieille Europe, engluée dans ses problèmes structurels de dettes publiques, de prélèvements obligatoires record et de retard technologique, que l'économie mondiale peut compter pour retrouver son dynamisme passé.



C'est vers les grands pays émergents, les fameux BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) que l'espoir se porte aujourd'hui - l'espoir que la phase de rattrapage de leur niveau de vie vis-à-vis des pays occidentaux va se poursuivre, voire s'accélérer. Et que leurs modèles de croissance, jusqu'à présent essentiellement basés sur les exportations, qu'il s'agisse de T-shirts ou de matières premières, va progressivement céder la place à un nouveau mode de développement, faisant la part belle à la demande intérieure. Etat des lieux dans les économies des BRIC, un an après le séisme.

Chine. Avec des ventes de voitures en hausse de près de 30 % sur les huit premiers mois de l'année, une reprise soutenue des importations de matières premières et une Bourse en surchauffe, la Chine ne donne pas vraiment l'impression de souffrir de la crise mondiale. Le taux de croissance annuel de 8 % du PIB, l'objectif initial du gouvernement pour 2009, devrait être atteint, a récemment déclaré le Bureau national des statistiques.

La robustesse de la croissance chinoise s'explique par le méga-plan de relance de 4 trillions de yuans (400 milliards d'euros) sur deux ans annoncé fin 2008, source d'une frénésie d'investissement en infrastructures sans pareil dans l'histoire économique mondiale. Dans l'urgence, le gouvernement chinois a ordonné aux banques d'ouvrir toutes grandes les vannes du crédit. Et après un fort ralentissement en juillet, les crédits sont repartis en août.

Cette stratégie de relance aux stéroïdes, qui a permis d'amortir le choc sur l'emploi et d'éviter que n'explose le chaudron social, est aussi porteuse de déséquilibres : une partie de l'argent des banques s'est visiblement dirigée vers la spéculation (bourse, immobilier et matières premières), tandis que de futures mauvaises créances s'accumulent. Le modèle économique chinois, ont dénoncé plusieurs économistes chinois réunis vendredi 12 et samedi 13 septembre, au Davos chinois, à Dalian, penche un peu plus du mauvais côté, celui de l'investissement au détriment de la consommation.

Inde. Malgré la crise mondiale survenue il y a un an, la croissance indienne s'est poursuivie à un rythme soutenu. Elle a atteint 6,7 % sur l'année fiscale qui se termine au 31 mars 2009, et devrait descendre aux alentours de 6 % lors de l'exercice suivant. La mauvaise mousson de cet été, avec la moitié du pays touchée par la sécheresse, explique ce léger fléchissement. Hormis l'agriculture, tous les secteurs sont épargnés par la crise. La production industrielle a connu en juin sa meilleure performance en un an et demi. Et le secteur des services a maintenu son rythme de croissance de 6,3 % au premier trimestre 2009. L'Inde doit sa bonne performance à la robustesse de sa demande intérieure et à la résistance de son système financier, "peu connecté au reste du monde", comme le note Rajiv Kumar, directeur du Conseil indien pour la recherche sur les relations économiques internationales (Icrier).

Dans un pays où seuls 15 % de l'économie dépendent des exportations, la demande intérieure a été peu affectée par la récession mondiale, surtout dans les zones rurales, qui constituent la moitié du revenu national. Grâce aux programmes sociaux et à la hausse des investissements publics dans les infrastructures, les campagnes ont, au contraire, vu leurs revenus augmenter. L'Etat en paie le prix fort, avec un déficit budgétaire représentant 6,8 % du PNB. Et l'agence de notation Standard & Poor's a ramené de "stable" à "négatif" sa notation souveraine sur l'Inde. Le pays reste toutefois une destination attirante pour les investisseurs du monde entier, car il est perçu comme un relais de croissance idéal aux marchés saturés, et touchés par la crise, des pays développés.

Brésil. En prédisant avec ironie il y a un an que "le tsunami" de la crise provoquerait dans son pays une simple "vaguelette", le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, avait vu assez juste : la récession n'aura duré qu'un semestre.

Le produit intérieur brut a augmenté de 1,9 % au deuxième trimestre 2009, après avoir régressé pendant deux trimestres consécutifs : - 3,4 % (octobre-décembre 2008) et - 1 % (janvier-mars 2009).

Selon le ministre de l'économie, Guido Mantega, le géant sud-américain devrait, sur sa lancée, retrouver en 2010 sa vitesse de croisière d'avant la crise, autour de + 4,5 %.

Happé par la récession plus tard que la plupart des pays du monde, le Brésil en sort plus tôt, comme l'attestent deux autres indices : la bourse de Sao Paulo a retrouvé son très haut niveau d'il y a un an et la monnaie, le real, a reconquis toute sa vigueur face au dollar et à l'euro.

La rapide récupération du Brésil témoigne de la justesse de la stratégie adoptée par le gouvernement et axée sur le soutien du marché intérieur. Des réductions d'impôts en faveur de l'automobile et de l'électroménager ont maintenu les ventes dans ces deux secteurs industriels cruciaux.

La banque centrale a aidé les banques en difficulté, puisant dans ses grosses réserves - 200 milliards de dollars - pour irriguer le marché asséché. De grosses entreprises, comme le géant minier Vale, ont pris peur, en gelant leurs investissements, ce que le président Lula leur reproche aujourd'hui. Mais la confiance des consommateurs, elle, n'a guère été ébranlée : "L'économie a survécu grâce aux plus pauvres", souligne Lula.

Russie. Bien plus touchée par la crise que les autres pays du BRIC (Brésil, Inde, Chine), la Russie connaît un semblant de reprise. Son PIB a augmenté, en glissement mensuel, de 0,4 % en juin et de 0,5 % en juillet.

Le ministre russe des finances, Alexeï Koudrine, se veut optimiste : le pays émergera "complètement" au troisième trimestre 2009. "Sur le long terme et pour de multiples raisons, la Russie restera dotée d'une solide croissance" qui lui permettra de se hisser "au sixième rang de l'économie mondiale".

Après un essor économique sans précédent ces dix dernières années, la Fédération russe a subi la crise de plein fouet. Son PIB a chuté de 9,8 % au premier trimestre sur un an, et de 10,9 % au deuxième trimestre.

Cet atterrissage brutal s'explique par le modèle russe de croissance, axé sur les exportations de matières premières et le recours massif aux crédits étrangers. La crise a révélé l'échec des autorités à mettre en place des réformes structurelles au moment où l'Etat engrangeait les recettes de la vente du pétrole. Conscientes de ces faiblesses, les autorités russes ont plaidé ces derniers mois en faveur d'une diversification et d'une modernisation des infrastructures.

Ces bonnes résolutions risquent d'être vite oubliées. Le frémissement actuel de l'économie a une seule cause, la remontée des prix du pétrole, passés de 33 dollars en décembre 2008 à 70 dollars ces derniers mois. Quant au recours aux emprunts à l'étranger, il s'est tari, ce qui signe la fin de la consommation effrénée et des projets de développement. "Vingt années de tumultueux changements dans notre pays n'ont pas changé son humiliante dépendance aux matières premières. (...) A de rares exceptions près, nos entreprises ne créent pas les biens et la technologie nécessaires à la population", a récemment souligné le président, Dmitri Medvedev.



Jean-Pierre Langellier (à Rio), Marie Jégo (à Moscou), Julien Bouissou (à New Delhi), et Brice Pedroletti (à Shanghaï)
Article paru dans l'édition du 17.09.09

La crise provoque une baisse mondiale des investissements étrangers

La crise provoque une baisse mondiale des investissements étrangers
LE MONDE 18.09.09

En 2008, les entreprises ont globalement donné un sérieux coup de frein à leurs investissements à l'étranger. "Après une hausse ininterrompue des investissements directs étrangers (IDE) de 2003 à 2007, ceux-ci ont chuté de 14 % à 1 697 milliards de dollars [1 157 milliards d'euros] en 2008" selon le Rapport sur l'investissement dans le monde 2009, publié jeudi 17 septembre par la Conférence des nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced).

Cette baisse, encore modérée en 2008, en raison d'un premier semestre, épargné par la crise, devrait toutefois s'accentuer en 2009, avec une nouvelle décroissance de 29% des IDE, estiment les experts de la Cnuced. Ils s'attendent à un début de reprise en 2010. Mais il faudra attendre 2011 pour retrouver sensiblement les mêmes montants qu'en 2008.

La chute est particulièrement sensible dans les pays développés. En revanche, les IDE ont augmenté dans les pays en développement en 2008, mais ont fini par chuter à leur tour en 2009.Ces évolutions contrastées dans les différentes régions du monde, témoignent d'un véritable "basculement" estime Fabrice Hatem, senior economist à la Cnuced. Les investissements vers les pays en développement représentent 43 % des flux d'IDE dans le monde en 2008, soit une proportion deux fois plus importante qu'au début de la décennie.

Paradoxalement, tandis que les Etats-Unis ont été particulièrement affectés par la crise, les IDE y ont continué d'augmenter en 2008. Ce pays reste celui qui recueille le plus d'investissements étrangers en 2008, la France est en deuxième position (malgré une baisse de 26 %), devant la Chine, suivie du Royaume-Uni et de la Russie.Plusieurs raisons expliquent la bonne performance américaine. La principale étant que ce pays a été le siège de quelques grosses opérations de fusions-acquisitions en 2008. Avec en particulier l'achat du brasseur Anheuser-Busch par le belge InBev pour plus de 52 milliards de dollars, soit le sixième des IDE vers les Etats-Unis en 2008. En outre, il semble que les filiales américaines de multinationales, aient appelé à la rescousse leurs maisons mères (européennes ou asiatiques) pour soulager leur trésorerie. Cela a aussi contribué à gonfler les flux vers les Etats-Unis.Compte tenu de ces phénomènes, les IDE demeurent-ils un bon indicateur pour juger de l'attractivité d'un pays, et de sa santé économique ? Certes un investissement "ex-nihilo" (pour installer de nouveaux équipements, par exemple) est un indicateur positif. Il est un facteur de croissance, potentiellement créateur d'emplois. Mais, à l'inverse, certains prêts intragroupes témoignent de la dégradation économique du pays vers lesquels ils sont dirigés. Par ailleurs, lorsqu'une société est acquise par une autre, son siège social et donc son centre de décision, quitte le territoire, ce qui peut avoir des conséquences négatives sur l'emploi par exemple.


Pour M. Hatem, les IDE restent, néanmoins, un indicateur d'attractivité. Les conséquences positives l'emportent, estime-t-il. "Fondamentalement, la croissance des IDE dans un pays est fortement corrélée à sa dynamique de développement" assure t-il. Les avances en trésorerie, par exemple, ne peuvent être que passagères. Un investissement, voir une filiale, finissent par être arrêtés s'ils ne sont pas rentables. La place de la France, en seconde position, est donc une performance encourageante.