vendredi, avril 29, 2005

Revue : Mondes en développement
Rédacteur en chef : André Philippart, Directeur Général Honoraire de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Chargé de cours, ULB, Bruxelles

Revue franco-belge fondée en 1973 par François Perroux (Collège de France), Mondes en développement évolue et publie à un niveau international des contributions en français ou en anglais, selon le choix de l'auteur. Elle s'intéresse aux différents niveaux de développement des pays dans le monde, selon des valeurs humaines (l'économie des ressources humaines, dynamiques migratoires, sous-développement et pauvreté...), économiques (les coopérations économiques, la mondialisation...), techniques (industrialisation, agriculture, transfert des technologies...), financières (le financement du développement...), commerciales etc.
ISSN : 0302-3052

Dont Mondes en développement 2004/2 n°126, sur Micro-finance et développement.
Introduction

- Microfinance : un état des lieux (M. Labie)
- Banking on Social Entrepreneurship : the Commercialization of Microfinance (J.K.Rosengard)
- Articulation entre les activités bancaires et microfinancières : une nouvelle sphère d'intermédiation ? (A. Nsabimana)
- Performances sociales : une raison d'être des institutions de microfinance... et pourtant encore peu mesurées. Quelques pistes ? (C. Lapenu, M. Zeller, M. Greeley, R. Chao-Béroff, Koenraad Verhagen)
- Microfinance au Nord : un effet de mode importé du Sud ? (J.-Fr. Maystadt)
VARIA
- Les théories économiques des migrations internes (Th. Baudassé)

RESUMES - SUMMARIES

jeudi, avril 28, 2005

UE : "dispositif OMD" (objectifs du millénaire pour le développement) de la Commission

Questions et réponses:

1. De quoi traite ce «dispositif»?

La Commission a approuvé aujourd’hui trois communications relatives aux OMD (objectifs du millénaire pour le développement). Ces documents proposent des engagements communs de l’Union en vue de l’examen des progrès réalisés sur la voie des OMD qui aura lieu lors de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre prochain à New York. Ce dispositif avance des propositions qui ont trait au financement du développement, à la cohérence des politiques pour le développement et à la priorité à accorder à l’Afrique. Le commissaire Michel a déclaré que, sous réserve du soutien du Conseil et du Parlement, ces propositions placeront l’UE, qui est déjà le premier bailleur de fonds au monde, en position de chef de file politique.

2. En quoi ces propositions sont-elles nécessaires?

En septembre 2005, l’Assemblée générale de l’ONU examinera les avancées réalisées vers la concrétisation des objectifs du millénaire pour le développement, que la communauté mondiale a adoptés en 2000. Ces OMD sont devenus le thème central des efforts internationaux de coopération au développement. L'UE a souligné à plusieurs reprises l'importance qu’il fallait attacher à leur examen, qui aura lieu au mois de septembre prochain et dans lequel elle voit l’occasion décisive d'accélérer la réalisation des OMD. En novembre 2004, le Conseil a invité la Commission à “préparer des propositions spécifiques et ambitieuses quant à l’action, en particulier pour ce qui est du financement du développement, de la cohérence des politiques en matière de développement et de la priorité à accorder à l'Afrique”. Premier donateur mondial (plus de 50% de l'aide publique au développement - APD), l'UE joue un rôle essentiel dans le processus visant à atteindre les OMD. Plusieurs rapports faisant le point de la réalisation de ces objectifs ont mis au jour des lacunes notables, notamment dans l’Afrique sub-saharienne. Les calculs indiquent qu’au rythme de progression actuel, certains OMD ne seront atteints que dans plusieurs décennies. Cette situation est moralement et politiquement inacceptable.

3. Quelles nouveautés apportent les propositions de la Commission?

Priorité à l’Afrique: la Commission souhaite que l’Union se démarque dans des domaines dans lesquels elle dispose d’un avantage comparatif ou dans lesquels elle peut combler les lacunes existantes et agir comme catalyseur pour favoriser les actions d’autres partenaires.

La communication propose de donner la priorité politique à l’Afrique et d’accélérer les actions de l’UE dans un nombre limité de domaines:

le volume des ressources devrait être majoré et une part suffisante de cette augmentation de l’aide publique au développement devrait être réservée à l’Afrique;
toutes les propositions relatives à la cohérence des politiques et à la qualité de l’aide devraient être appliquées à l’Afrique en priorité, le but étant de formuler une réponse européenne commune;
la Commission propose des engagements clés pour agir dans un certain nombre de domaines considérés par les Africains eux-mêmes comme indispensables à leur développement. Il s’agit:
d’améliorer la gouvernance en Afrique,
d’assurer l’interconnexion des réseaux et du commerce de l’Afrique,
de s’efforcer de parvenir à des sociétés équitables, à l’accès aux services et à un environnement durable.
Cohérence des politiques pour le développement: les engagements liés à la cohérence des actions guident déjà les politiques de l’UE. La présente communication, toutefois, entraîne une évaluation de ces engagements et de ces actions dans le cadre des efforts menés au niveau mondial pour réaliser les OMD. L’UE confirme une nouvelle fois et renforce ainsi son engagement à obtenir des résultats effectifs et à suivre leur concrétisation en respectant le calendrier fixé d’ici à 2015.

En réponse à la requête du Conseil, qui a demandé un examen des options pour renforcer la cohérence des politiques de l’UE à l’appui de la réalisation des OMD, la Commission a relevé un certain nombre de domaines prioritaires - notamment le commerce, l’environnement, l’agriculture - dans lesquels elle estime particulièrement judicieux de relever le défi de créer des synergies avec les objectifs de la politique de développement. Pour chacun de ces domaines prioritaires, la Commission a défini des orientations générales ou «engagements pour la cohérence des politiques pour le développement» qu’elle juge appropriés pour contribuer à l’accélération des progrès. La Commission invite le Conseil, le Parlement européen et le Comité économique et social européen à confirmer qu’ils approuvent ces engagements comme une volonté commune de l’UE et de ses États membres d’améliorer la cohérence des politiques et comme une contribution essentielle de l’Union à la réalisation des OMD.

Il est important d’augmenter les financements et d’améliorer l’aide accordée sur le terrain, mais ce n’est pas en soi suffisant pour permettre aux pays en développement d’atteindre les OMD d’ici à 2015. C’est pourquoi la contribution des politiques autres que l’aide à la réalisation des OMD doit également être prise en considération (voir aussi les points 6 et 7).

Financement du développement: en vertu du mandat du Conseil concernant la présentation de «propositions concrètes pour la fixation de nouveaux objectifs appropriés en matière d'aide publique au développement pour la période 2009-2010, tout en tenant compte de la situation des nouveaux États membres», la Commission propose deux objectifs jumelés à atteindre d’ici 2010:

- un objectif individuel d’APD par État membre, différencié selon qu’il s’agit d’anciens ou de nouveaux États membres: la Commission propose aux anciens États membres de porter leur APD à une base individuelle de 0,51% du RNB, s’ils ne l’ont pas déjà fait. La Commission propose aux nouveaux États membres d’atteindre 0,17% de leur RNB;
- un objectif collectif moyen, pour l’Union, de 0,56% APD/RNB.
Ces deux objectifs, s’ils sont atteints, pourraient permettre à l’UE de parvenir à 0,7% d’APD d’ici à 2015. L’UE, en tant que premier donateur, serait ainsi en mesure de respecter un objectif international fondamental en matière d’aide. La proposition garantit en outre un partage équitable de la charge entre les États membres.

4. Quelles sont les conséquences financières?

Le renforcement des engagements en matière d’APD aura, en dernière analyse, des répercussions sur les budgets nationaux des États membres. Son incidence financière sur la taille globale des budgets nationaux devrait cependant rester limitée, car les allocations d’APD augmenteront progressivement, sur une durée de 10 ans.

Les propositions de la Commission pourraient mobiliser des ressources considérables et pratiquement doubler en dix ans le budget annuel de l’Union consacré à l’aide publique au développement: l’APD annuelle estimée de l’Union pourrait être portée de 46 milliards d’euros en 2006 à 66 milliards d’euros en 2010 (objectif moyen de 0,56% APD/RNB) et atteindre un pic en 2015: 90 milliards d’euros (objectif moyen de 0,7% APD/RNB).

2006
2010
ÉCART 2010-2015
APD
% RNB
APD
% RNB
APD
% RNB
Mio EUR
Mio EUR
Mio EUR
Objectif individuel de 0,51% - anciens États membres
UE5
45788
0,43%
65988
0,58%
24054
0,12%
Objectif individuel de 0,17% – nouveaux États membres
(écart par rapport à 0,33%)
UE10
474
0,09%
993
0,17%
1128
0,16%
Objectif collectif de 0,56%
UE25
46262
0,42%
66980
0,56%
25182
0,14%

[Graphic in PDF & Word format]

(Estimations par année)

5. À quels pourcentages les États membres sont-ils parvenus à ce jour?

Quatre États membres (Danemark, Luxembourg, Pays-Bas et Suède) ont déjà atteint l’objectif de 0,7% d’APD/RNB et se sont engagés à maintenir leur APD au moins à ce niveau. Six autres (Belgique, France, Finlande, Irlande, Espagne et Royaume-Uni) ont déjà fixé des calendriers fermes pour parvenir à cet objectif avant 2015.

6. Comment peut-on renforcer l’efficacité de l’aide?

Le développement n’est pas seulement une question de moyens, c’est-à-dire de financements, c’est aussi une question de modalités d’action plus efficaces. Pour enregistrer des progrès réels dans les pays en développement, il faut tenir compte de ces deux dimensions, et la responsabilité tant du développement que du respect des OMD doit rester dans les mains des pays en développement eux-mêmes. Pour étudier les moyens de développement les plus efficaces, le Conseil a également mandaté la Commission pour «explorer des modes de financement nouveaux» et déclaré que l’UE réexaminera notamment des «solutions à long terme au problème de la dette».

Les propositions de la Commission dans ce domaine touchent toute une série de questions, parmi lesquelles:

- «Optimisation des ressources»: les ressources disponibles devraient être utilisées plus efficacement en réduisant le coût des opérations et les dépenses administratives et en évitant la duplication des financements par une complémentarité accrue des aides entre chacun des États membres et entre l’aide des États membres et celle qui est gérée par la Communauté. La Commission salue d’ailleurs les progrès considérables accomplis au sein de l’Union grâce à l’engagement, annoncé au forum de haut niveau de l’OCDE organisé sur ce sujet en mars 2005 à Paris, d’améliorer l’efficacité de l’aide. Dans les documents approuvés aujourd’hui, la Commission souligne à quel point il est important d’accomplir de réels progrès dans la recherche de résultats sur le terrain dans ce domaine.
Déliement de l’aide: la Commission invite à conclure rapidement les travaux législatifs portant sur les propositions concernées au Conseil et au Parlement et demande que les procédures d’appels d’offres des États membres applicables à l’aide bilatérale respectent les règles du marché unique.

- Assistance liée au commerce: celle-ci doit aussi être mise à profit pour accroître l’efficacité de l’aide.

- Biens publics mondiaux: il s'agit de soutenir un plan d'action de l'UE en la matière.

- Modes de financement nouveaux: des propositions visent à accélérer les travaux sur les options les plus prometteuses et les plus réalisables dans ce domaine. La Commission suggère que l’UE examine le principe d’une initiative européenne commune sur ce point.

7. En quoi consistent les «engagements de Barcelone»?

Les «engagements de Barcelone» consistent en 8 engagements politiques auxquels l’UE a souscrit pour contribuer à la conférence internationale de Monterrey, en mars 2002, consacrée au financement du développement. Ces engagements ont été pris dans deux domaines:

engagements relatifs à l’APD, son volume et ses sources de financement: volumes accrus d’APD, nouvelles sources de financement, initiatives concernant les biens publics mondiaux et allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE);
engagements relatifs à l’efficacité de l’aide: coordination plus étroite des politiques et harmonisation des procédures, déliement de l’aide, aide liée au commerce, réforme du système financier international.

Le Conseil a donné mandat à la Commission de suivre la mise en oeuvre de ces engagements. La communication, complétée par le document de travail interne, est le troisième rapport annuel de suivi à faire le point des progrès réalisés.

Le suivi du respect des engagements de Barcelone qu’assure la Commission indique que l’Union est globalement sur la bonne voie. La Commission suggère donc d’actualiser et de renforcer ces engagements. L’Union dans son ensemble adresserait ainsi un message fort à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, qui se tiendra en septembre à New York.

8. Quels documents ont été approuvés aujourd’hui?

La Commission a approuvé aujourd’hui trois communications, qui forment le «dispositif OMD»:

Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social : «Accélérer les progrès vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement - La contribution de l’Union européenne»;
Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social: «Accélerer les progrès vers la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement: cohérence des politiques pour le développement»;
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen: «Accélérer le rythme des progrès accomplis sur la voie des objectifs du Millénaire pour le développement – financement pour le développement et efficacité de l’aide».
ANNEXE:

En quoi consistent les OMD?

D’ici à 2015, les 191 États membres de l’Organisation des Nations unies se sont engagés à réaliser les 8 objectifs présentés ci-après. Ces objectifs et les cibles de référence sont étroitement liés et doivent être considérés comme formant un tout. Les OMD représentent un partenariat entre les pays industrialisés et les pays en développement en vue de «créer – aux niveaux tant national que mondial – un climat propice au développement et à l’élimination de la pauvreté».

Réduire l'extrême pauvreté et la faim:

Réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour.

Réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim.

Assurer l'éducation primaire pour tous:
Donner à tous les enfants, garçons et filles, les moyens d'achever un cycle complet d'études primaires.

Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes:

Éliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaire et secondaire d'ici à 2005, si possible, et à tous les niveaux de l'enseignement en 2015, au plus tard.

Réduire la mortalité infantile:

Réduire de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans.

Améliorer la santé maternelle:

Réduire de trois quarts le taux de mortalité maternelle.

Combattre le VIH/sida, le paludisme et d'autres maladies:

Stopper la propagation du VIH/sida et commencer à inverser la tendance actuelle.

Maîtriser le paludisme et d'autres grandes maladies, et commencer à inverser la tendance actuelle.

Assurer un environnement durable:

Intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales; inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales.

Réduire de moitié le pourcentage de la population qui n'a pas accès de façon durable à un approvisionnement en eau potable.

Améliorer sensiblement la vie d'au moins 100 millions d'habitants de taudis, d'ici à 2020.

Mettre en place un partenariat mondial pour le développement:

Poursuivre la mise en place d'un système commercial et financier multilatéral ouvert, fondé sur des règles, prévisible et non discriminatoire. Cela suppose un engagement en faveur d'une bonne gouvernance, du développement et de la lutte contre la pauvreté, aux niveaux tant national qu'international.

S'attaquer aux besoins particuliers des pays les moins avancés. La réalisation de cet objectif suppose l'admission en franchise et hors contingents de leurs exportations, l'application du programme renforcé d'allégement de la dette des pays pauvres très endettés, l'annulation des dettes bilatérales envers les créanciers officiels, et l'octroi d'une aide publique au développement plus généreuse aux pays qui démontrent leur volonté de lutter contre la pauvreté.

Répondre aux besoins particuliers des États enclavés et des petits États insulaires en développement.

Traiter globalement le problème de la dette des pays en développement par des mesures d'ordre national et international propres à rendre leur endettement viable à long terme.

En coopération avec les pays en développement, créer des emplois décents et productifs pour les jeunes.

En coopération avec l'industrie pharmaceutique, rendre les médicaments essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement.

En coopération avec le secteur privé, mettre les avantages des nouvelles technologies, en particulier des technologies de l'information et de la communication, à la portée de tous.

mardi, avril 26, 2005

L'actualité de Bandoeng : article critique

L’ACTUALITÉ DE BANDOENG : QUELLES ALTERNATIVES À L’ORDRE MONDIAL LIBÉRAL ?

par Hugo Ruiz Diaz et Mireille Mendès-France

« Nous avons connu nos terres spoliées au nom de textes prétendument légaux, qui ne faisaient que reconnaître le droit du plus fort, nous avons connu que la loi n’était jamais la même, selon qu’il s’agissait d’un blanc ou d’un noir, accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou, croyances religieuses : exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même.. » [1] . Patrice Lumumba

I. Bandoeng ou le processus de l’émergence d’un nouvel ordre international alternatif

1. Des relations internationales inéquitables et un droit international formaliste

L’une des caractéristiques du droit international classique est le formalisme dont il est imprégné ; Charles Chaumont, d’ailleurs, précise à ce propos que « l’état de droit international est marqué par la primauté des apparences sur les réalités, la détermination des règles sans considération des conditions concrètes de leur apparition et de leur application, ainsi que de la structure des Etats et relations internationales en cause. Il est un mélange de cynisme et d’illusionnisme » [2]. Ce droit international légalise la violence, la colonisation, la domination et la soumission des peuples, mais il légalise, aussi, par le biais de l’ordre juridique international sciemment élaboré et matérialisé en tant que « doctrine », le racisme envers les peuples colonisés et l’ordre juridique international de pillage et de vol des richesses naturelles et des biens culturels des peuples. En résumé, c’est un droit international qui cache, qui camoufle les contradictions et les réalités de la domination des plus forts sur les plus faibles.

La Charte des Nations Unies a tenté de surmonter ces contradictions en énonçant notamment le principe juridique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui coexistait avec la consécration du système de tutelle sous le chapitre XII [3]. Elle ne remet cependant pas radicalement en cause la domination coloniale, le droit des peuples restait un principe juridique sans contenu réel. Cependant, le droit des peuples devient une réalité et une règle juridique lorsqu’il coïncide avec les luttes des peuples contre la domination coloniale se concrétisant dans la possession de la souveraineté, c’est-à- dire, l’indépendance politique de l’Etat. En effet, les pays du bloc socialiste et les pays du Tiers monde vont lui donner , au fur et à mesure que les luttes des peuples s’élargissent et se renforcent, le contenu révolutionnaire qui lui manquait en 1945, mais aussi un nouveau contenu qui est apparu étroitement lié au droit sur les ressources naturelles et au droit de choisir leur propre système politique, économique, culturel et idéologique, etc.

Mais, à la différence de la situation actuelle, le système de relations internationales était profondément marqué par l’existence de deux modèles : les systèmes capitaliste et socialiste. En ce sens, l’ONU et son droit matériel est l’expression principale de l’état des relations internationales façonnant l’ordre juridique international de l’après deuxième guerre mondiale.

Ce droit international, malgré toutes ses limitations, constitue déjà une amorce du déclin du droit international classique de nature européo-centrée et chrétienne.

2. L’heure de la révolte et la remise en cause de l’ordre juridique de fiction

Bandoeng est le résultat des évènements majeurs qui ont eu des conséquences politico-idéologiques sur la lutte de libération nationale de conquête de l’indépendance. Les peuples, jusque là ignorés et dépossédés de tout droit, considérés comme assujettis à la métropole, sous l’idée force du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, se rebellent contre le statut quo imposé par la violence de la domination coloniale des Etats européens.

L’un des faits les plus marquants fut la lutte d’indépendance du peuple chinois et la révolution de 1949 qui a bouleversé les relations internationales en rejetant fermement le droit international classique et formaliste. L’autre événement est la lutte d’indépendance de l’Inde qui a débouché sur l’expulsion de l’empire colonial anglais. Citons parmi d’autres, la proclamation de l’indépendance du Vietnam par Ho Chi Min en 1945 avec pour conséquence directe le début de la fin de la domination coloniale française ; en 1948, l’insurrection contre la domination hollandaise et la conquête de l’indépendance de l’Indonésie. . Entre 1947-52, c’est la défaite de la domination coloniale directe ou par voie de « mandat » des Britanniques au Moyen- Orient ( Egypte, Palestine...). Il s’agit d’une poussée, au niveau mondial, des peuples à la quête de modèles alternatifs qui s’illustre entre autres en 1952, par la révolution bolivienne et en 1954, au Guatemala par la révolution anti-impérialiste ...

C’est dans cette conjoncture internationale favorable que la conférence afro-asiatique s’est réunie du 18 au 24 avril 1955 à Bandoeng [4]. L’indonésien Sukarno, le yougoslave Tito, l’égyptien Gamal Abdel Nasser, le chinois Zhou Enlai et l’indien Nehru y revendiquèrent leur appartenance à un Tiers-Monde neutraliste, à égale distance des Etats-Unis et de l’URSS. L’axe de leur action était articulé autour du rassemblement des pays pauvres, de la lutte contre le colonialisme et contre la ségrégation raciale. Ainsi naquit, suite à la crise et à la faillite du système de domination coloniale et grâce à la lutte émancipatrice des peuples d’Afrique et d’Asie dans le contexte de l’exacerbation de la Guerre froide, un nouveau pôle de regroupement , une nouvelle force et surtout, une force politique qui prétendait inaugurer le passage vers une nouvelle organisation de la société internationale.

3. La Déclaration de Bandung

La déclaration [5] adoptée lors de la conférence reflète l’état d’esprit des peuples et l’irruption, tout à fait inattendue, de nouveaux acteurs exclus du partage du pouvoir dans la société internationale de l’après-guerre. En déclarant que le colonialisme et l’exploitation, sous toutes ses formes, est la négation des droits humains et un obstacle pour le développement et la paix, la déclaration constitue un cri de bataille qui légitime et légalise le droit des peuples soumis à l’occupation étrangère à disposer d’eux-mêmes.

Parmi d’autres, la Conférence proclame :

1) le respect des droits humains fondamentaux en conformité avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ;
2) le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les Nations ;
3) la reconnaissance de l’égalité de toutes les races et de l’égalité de toutes les Nations, petites et grandes ;
4) la non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ;
5) le respect du droit de chaque Nation de se défendre individuellement ou collectivement conformément à la Charte des Nations Unies ;
6) le refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes puissances quelles qu’elles soient ; refus par une puissance quelle qu’elle soit d’exercer une pression sur d’autres ;
7) l’abstention d’actes ou de menaces d’agression ou de l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un pays.

La crise de Suez [6] en 1956 va accélérer le processus de décomposition de la domination coloniale européenne en général et, en particulier, française et britannique. La première association sur le terrain de ces deux pays causera leur perte puisqu’ils ne pourront pas garder leur position privilégiée dans les relations internationales. Cette nouvelle configuration permet aussi de jeter les bases de l’apparition d’un Tiers Monde soucieux de disposer de ses ressources stratégiques [7] ; et ouvre la voie à la conquête de leur indépendance et l’appropriation de nouveaux espaces institutionnels onusiens, d’où ces pays pouvaient enfin faire entendre leurs voix.

4. Les Non Alignés et les effets de la conférence de Bandoeng

Le mouvement des Non alignés en tant que force a été officiellement créé en 1961 à Belgrade [8] sous l’impulsion conjuguée de Tito, de Nehru et de Nasser. Finalement à partir du début des années 60 ils sont plusieurs dizaines et détiennent la majorité des voix à l ‘Assemblée Générale de l’ONU. L’esprit de Bandung crée un souffle nouveau dans les relations internationales : pour la première fois, une grande conférence a lieu sans la présence des Etats-Unis, de l’URSS ou de pays européens. Les pays du Tiers-Monde affirment leur volonté d’obtenir une voix indépendante dans les affaires internationales, sans s’aligner sur les deux grandes puissances. Jusque là, à Bandung notamment, le Tiers-Monde émergeant avait affirmé sa spécificité mais ne disposait que de peu de moyens.

Les Non-alignés ont été un facteur décisif de lutte pour la liberté des peuples opprimés, de leur indépendance et pour la formation de nouveaux Etats souverains. Ils ont également été un facteur d’équilibre entre les deux blocs optant en faveur d’un développement politique indépendant tout en refusant la logique de la polarisation des zones hégémoniques.

En 1960, l’Assemblée générale de l’ONU, dominée par les pays du Sud numériquement les plus nombreux, adopta une déclaration ouvertement anticolonialiste qui reconnaît la légitimité des luttes émancipatrices comme un droit fondamental [9]. Si la légalisation de la loi du plus fort a été l’un des traits caractéristiques du droit international classique [10], pour la première fois, dans l’histoire des relations inter étatiques contemporaines et dans le corpus juridique international, la violence des opprimés reçoit ses titres de noblesse.

Néanmoins, dans les années qui suivent Bandoeng, la tactique du Tiers-Monde se limite à exploiter la rivalité des deux puissances hégémoniques pour menacer l’une ou l’autre de passer dans un camp ou dans l’autre. Quelques années après sa création officielle à Belgrade, le mouvement des Non- alignés va tenter de défier le clivage Est-Ouest en agrégeant de nouveaux pays : il passe de 25 à plus de 100 membres. Le Mouvement se veut alors une Troisième force et se dote de visées stratégiques. Il se donne une dimension planétaire et dynamique qui conforte la légitimité de ses revendications. De nombreux sommets vont se succéder, constituant de véritables assises des pays en voie de développement (le Caire 1964, Alger 1973, La Havane 1979, Belgrade 1989, ...). La lutte contre le colonialisme acquiert un visage de lutte contre le néo-colonialisme.

L’ONU va jouer un rôle décisif dans l’affirmation du Tiers-Monde. Rassemblés dans un groupe politiquement très actif, le Groupe des 77 -qui rassemble aujourd’hui 135 pays -les Etats du Tiers-Monde conduisent une stratégie de révision du système international. Ils firent d’abord des Nations Unies une tribune « anti-impérialiste » [11] et contribuèrent à faire admettre, comme observateurs de l’ONU, des organisations de libération nationale telles que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la S.W.A.P.O...). Cette « puissance des faibles » [12] contribuera de manière décisive à l’évolution du droit international : c’est le début de la fin du camouflage des contradictions de la société internationale [13].

C’est dans ce contexte de poussée des luttes d’indépendance et sous la pression des pays du Sud que naquit en 1964 la CNUCED. Elle se montre favorable à la mise en place de politiques qui irritent profondément les pays industrialisés : naissance des industries dans les pays du Sud, sous contrôle du pouvoir public et politiques internes de substitution des importations en provenance des pays développés par les productions locales.

La CNUCED est devenue une enceinte privilégiée où les pays du Tiers Monde portent leurs revendications. Ainsi au sujet de la dette externe des pays nouvellement indépendants, à New Delhi, lors de la deuxième session de la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement, Louis Nègre, Ministre des finances du Mali avait affirmé ».. beaucoup de nos pays auraient pu légitimement contester la validité juridique des dettes contractées du chef des puissances étrangères.. . Par- delà le juridisme et la formation du bon droit, nous voulons réclamer des pays créanciers développés... en leur proposant comme test de leur bonne volonté de décréter au cours de la présente session... l’annulation pure et simple de toutes les dettes contractées pendant la période coloniale en fonction d’intérêts qui n’étaient fondamentalement les nôtres, et dont le service incombe injustement à nos Etats » [14]. C’est de nouveau les relations internationales et le cadre juridique de sa régulation qui sont mis en question : les dettes sont nulles car elles avaient été contractées dans un cadre qui était totalement étranger aux intérêts des populations soumises à la domination coloniale, tout en gardant « le formalisme juridique » en matière de contrat ou accord international d’emprunts faits par les métropoles au nom des peuples soumis à leur domination.

En 1962, l’Assemblée générale proclame la souveraineté permanente sur les ressources naturelles par le biais de la Résolution 1803 qui constitue une interprétation du principe de l’égalité souveraine des Etats ; cela est confirmé en 1968 [15]en tant que réponse juridico-politique collective à la prétention des Etats occidentaux de donner un statut de règle coutumier à l’idéologie néo-colonial des « droits acquis ». La Résolution 1803 proclame, entre autres que « les capitaux importés et les revenus qui en proviennent seront régis... par la loi nationale et par le droit international... ». Les Etats du Tiers Monde proclament également le droit à la nationalisation, à l’expropriation et à la réquisition. De même il est dit, sans ambiguïté, que les accords relatifs aux investissements étrangers doivent être basés sur le respect intégral de la souveraineté des peuples sur leurs richesses et leurs ressources.

Les contradictions entre ces revendications et l’état actuel du droit international est frappant. Par exemple, les actuels Traités de Promotion et de Protection des Investissements, règles de droit qui se trouvent directement liés à celles de l’Organisation Mondiale du commerce et aux politiques des institutions de Bretton Woods, remettent radicalement en question ces revendications de base qui sont, en plus, des éléments substantiels de la participation citoyenne et du fonctionnement démocratique des pouvoirs publics. En effet, les TPPI sont entièrement basés sur la primauté du droit des investisseurs et sur l’obligation des pouvoirs publics de veiller étroitement à leurs intérêts et à leurs profits. De plus, les investisseurs possèdent le droit de recours direct -contrairement aux citoyens- auprès des tribunaux, tel le Centre International des règlements des différends relatifs aux investissements, partie prenante, puisqu’il fait partie du groupe de la Banque Mondiale. Ce centre applique la lex mercatoria et les lois du marché sous couvert du droit international. Ainsi, les investisseurs étrangers, par la voie des TPPI, ne sont plus soumis aux tribunaux nationaux et aux lois nationales, échappant à tout contrôle démocratique. En revanche, ce sont les peuples qui sont soumis aux lois des marchés et au droit marchand et mercantiliste. Ce type de traité conduit, en fait et en droit, à la négation du droit à la nationalisation, à l’interdiction implicite de toute politique nationale de développement économique, écologique et social qui pourrait mettre en cause les intérêts des sociétés transnationales. Plus grave encore, ils ont comme effet, dans la pratique et suivant les règles qu’y sont consacrées, la négation du droit des peuples à disposer d’eux mêmes et de disposer librement de leurs ressources naturelles en choisissant souverainement leur propre système économique et politique.

Ce renversement de tendance est encore plus net dans le processus de démantèlement de l’Etat et de négation du droit des peuples, si l‘on tient compte du fait que Kofi Anan, Secrétaire général de l’ONU, traite sur un pied d’égalité le secteur privé, la « société civile » et les Etats. Pour le Secrétaire général de l’ONU, les objectifs du développement économique, social et culturel ne pourraient être atteints sans la participation active du secteur privé [16], qui devraient agir en coordination avec les institutions internationales [17].

Cette parenthèse faite, dans la poussée générale des pays du Tiers Monde, la remise en question de l’ordre international est également passée par la consécration juridique des droits économiques, sociaux et culturels qui sont devenus des règles de droit international suite à leur inclusion dans le Pacte de 1966, ce qui a signifié, à cette période, une défaite politico-idéologique des pays alignés sur la politique nord-américaine, uniquement attachée aux droits à portée individuelle sur le plan civil et politique. En outre, les deux pactes de 1966 (Pacte sur les droits économiques sociaux et culturels et le Pacte sur les droits civils et politiques) ont matérialisé en tant que règle juridique internationale :

a) le droit des peuples à disposer d’eux même en tant que droit humain collectif.
b) le droit des peuples de choisir leur propre modèle politique, économique, social et idéologique.
C’est au milieu de ce changement des rapports des forces que le racisme traditionnel des pays européens envers les peuples africains noirs est considéré comme un crime contre l’humanité.

L’Assemblée générale, avec la majorité des Etats du Tiers Monde, condamne fermement le régime criminel de l’apartheid et les Etats occidentaux qui le soutiennent, ce qui est considéré, encore par la doctrine occidentale, comme une « perte de temps » [18]. Les pays occidentaux et leurs doctrinaires acculés au mur et en minorité à l’Assemblée générale de l’ONU, se penchent soudain avec une approche « objective » et « scientifique » sur la valeur juridique des résolutions de l’AG - résolutions qui n’ont jamais été mises en question lorsqu’ils la contrôlaient.

Les mérites et les leçons de Bandoeng

Bandoeng a changé le visage des relations internationales contemporaines. La Conférence a été l’élément qui a contribué au regroupement des peuples du Tiers Monde et donné un appui inconditionnel aux luttes de libération des peuples. Elle a aussi pesé dans les relations internationales en les complexifiant notamment, élargissant la lutte contre le colonialisme vers le néo-colonialisme. Ses effets se sont fait sentir sur le plan juridique en rejetant le droit international classique, en formulant de nouvelles règles telles le droit des peuples sur leurs ressources naturelles, le droit des peuples en tant que droit humain collectif, le droit de nationaliser, de contrôler les investissements...tous remis en question par l’offensive libéral.
Le droit, qui n’est pas à négliger, est avant tout un instrument de lutte, de matérialisation des revendications des droits des peuples et instrument fixant les rapports de force dans une période historique conjoncturelle. Quand le droit devient instrument dans les mains des peuples, il est l’un des moyens de contestation de l’ordre établi vers des changements sociales.
Pour en finir avec cette première partie, la remise en question de l’ordre international essentiellement d’ordre libéral, se matérialisera dans les années 70/80 par le biais de la proclamation d’un nouvel ordre économique international dotée d’un programme et du droit au développement en tant que modèle alternatif de développement économique, social et culturel(II).
Par Hugo Ruiz Diaz, Dr. En droit internationa, conseiller juridique CADTM, et Mireille Mendès-France, membre de Droit et Solidarité. Association international de Juristes démocrates.

________________________________________
NOTES:
[1] Discours de Patrice Lumumba, Premier ministre et ministre de la défense nationale de la République du Congo, à la cérémonie de l’Indépendance à Léopoldville le 30 juin 1960, dans "Textes et Documents", no 123, Ministère des Affaires Étrangères, Bruxelles.
[2] Chaumont, Ch., « Cours général de Droit international Public », RCADI, 1970, p. 345
[3] Ce régime a été créé par le Chapitre XII (Art. 75 à 85) de la Charte des Nations Unies. L’Article 77 de la Charte disposait que le régime de tutelle s’appliquerait aux territoires placés sous mandat de la Société des Nations après la première guerre mondiale et aux territoires placés sous ce régime par les États responsables de leur administration (les puissances coloniales).
[4] Sur l’île de Java en Indonésie.
[5] Conférence de Bandoeng, 1955, Déclaration en faveur du développement, de la paix et de la coopération internationales.
[6] Lire le texte du discours Gamar Abdel Nasser Nationalisation du Canal de Suez, 26 juillet 1956.
[7] Le Canal de Suez est un des exemples ; plus tard viendra la question du pétrole
[8] Il prend place après la conférence - non officielle- Afro-asiatique du 26 décembre 1957 au Caire. La présence de l’U.R.S.S et de la Chine marquait une ambiguïté certaine quant à l’indépendance vis à vis des blocs puisque en dehors du Japon également présent (inféodé aux U.S.A mais aussi ancienne puissance coloniale), participait l’URSS, laquelle, et depuis 1956 de par son appui à l’Egypte de Nasser dans l’affaire de Suez, s’affirmait comme "l’allié naturel du Tiers-monde".
[9] A titre d’exemple citons la Résolutión 1514 de l’Assemblée générale de l’ONU sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, 14 décembre 1960.
[10] Chaumont Ch., Cours général de droit international public, RCADI, 1970, II, p. 345 et ss.
[11] Voir, Résolution 2621 (XXV) et Résolution 2625 (XXV).
[12] Charvin R. « Le discours sur le droit international », Introduction critique au droit international, Presses Universitaires de Lyon, 1984, p. 40.
[13] Chaumont Charles, Op. cit., p., 347
[14] Actes de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, deuxième session, New Delhi, vol. I, Rapport et annexes, 1967, p. 152. Souligné par les auteurs.
[15] 2385 du 19 novembre 1968.
[16] Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous, Rapport du Secrétaire général, 21 mars 2005, § 20
[17] Op. cit., § 22
[18] Vaisse M., Les relations internationales depuis 1945, Armand Colin,9è. Edit. Paris, 2004, p. 99.

lundi, avril 25, 2005

L'autre volet du financement du développement : l'économie parallèle

“Un Algérien sur trois travaille au noir” Par Rabhi Meziane


Un Algérien actif sur trois travaille dans l’informel.
La reprise de la croissance observée depuis 2001 et confirmée en 2002 et 2003 s’est poursuivie en 2004 à un rythme élevé, affirme le délégué à la planification invité hier au forum du quotidien El Moudjahid. Ces “bonnes” performances, juge M. Brahim Ghanem, “sont d’autant appréciables qu’elles ont été obtenues dans un contexte d’approfondissement et d’élargissement des réformes”.

Le délégué à la planification précise que “ce taux de croissance a été soutenu par une évolution favorable des facteurs exogènes”, notamment les prix des hydrocarbures et les conditions climatiques. Les prix à l’exportation du baril de Sahara Blend ont été de 38,48 dollars en moyenne en 2004. Pour autant ces performances, souligne M. Brahim Ghanem, cachent des situations préoccupantes et qui devraient interpeller les pouvoirs publics.


Recul du salariat

Un recul de la part du salariat de 65% en 2003 à 60% en 2004, une augmentation des indépendants où prédomine l’informel (23% en 2003 et 32% en 2004), une augmentation plus rapide des emplois temporaires (+18% par rapport à 2003, contre +3 pour les emplois permanents), ce sont autant de caractéristiques de l’évolution de l’emploi relevées par le délégué à la planification M. Brahim Ghanem. Décodé : l’emploi en Algérie se précarise de plus en plus.

S’appuyant sur une enquête sur l’emploi et le chômage de l’ONS réalisée en septembre 2004 auprès d’un échantillon d’un peu plus de 13 000 ménages, M. Brahim Ghanem souligne que sur une population de 32,3 millions de personnes, la population active est estimée à 9,47 millions. 7,80 millions sont occupées. 1,67 million sont des chômeurs localisés à près de 60% en milieu urbain, dont 18% sont des femmes. Par secteur d’activité, le commerce, les services et l’administration se taillent la part du lion avec 53,5% de la population occupée. L’industrie n’occupe que 13,6%, l’agriculture 20% et le BTP 12,4%. Les employeurs indépendants représentent 32% de la population occupée, les salariés permanents 37%, les salariés non permanents et autres apprentis 23% et, enfin, les aides familiales 8%. Le délégué à la planification souligne l’évolution positive du revenu des ménages conséquemment à la croissance économique soutenue pour la troisième année consécutive et les décisions prises en matière salariale, notamment lors de la tripartite 2003. Ce revenu, souligne-t-il, a augmenté de 14% en 2004.

M. Brahim Ghanem évoque l’évolution de la rémunération salariale de 9%, la progression plus rapide du revenu des indépendants à un taux de 13% et, enfin, une augmentation significative des transferts monétaires de 24%.

Une croissance de 5,2% en 2004

En termes réels, le produit intérieur brut a augmenté de 5,2%, affirme le délégué à la planification M. Brahim Ghanem. Cette croissance, explique-t-il, a été tirée par une forte demande, notamment en équipements publics. Elle a été, dit-il, le fait des services pour 32%, du secteur des hydrocarbures pour 23%, des BTP pour 13%, de l’agriculture pour 6% et, enfin, de l’industrie pour 3%.

Par secteur, l’important plan de charge et la bonne disponibilité de matériaux de construction ont permis au BTP d’améliorer ses performances en enregistrant un rythme d’augmentation de sa production de 8% en 2004, contre 5,5% en 2003. Le secteur a enregistré en 2004 une croissance de 7,7% tirée principalement par le commerce en relation avec une très forte augmentation des importations de marchandises, des services aux entreprises et des services de communication stimulés par l’ouverture du secteur.

L’agriculture a évolué positivement avec une croissance de 3,1% en 2004. L’industrie enregistre une modeste croissance de 2,6%. Le secteur des hydrocarbures a évolué positivement lui aussi, mais à un rythme relativement moins important que celui de l’année 2003. La croissance en volume est de 3,3%, contre 8,8% en 2003. M. Brahim Ghanem souligne que la croissance par habitant a été sur la période 1999 à 2004 supérieure à 2% par an. Avec un taux de change moyen de 72,07 dinars pour un dollar, le produit intérieur brut 2004 s’est élevé à près de 85 milliards de dollars. Cela donne un PIB par habitant de 2 625 dollars, soit 1,75 fois le niveau du PIB par habitant de 1995.

La hausse des prix contenue à 3,6%

L’indice des prix à la consommation a, en moyenne annuelle, augmenté de 3,6% par rapport à 2003, soit un point de plus qu’en 2003 (2,6%). L’inflation est restée maîtrisée, “et cela est d’autant plus à souligner que des craintes de reprise de hausse des prix avaient été suscitées par la forte impulsion budgétaire opérée pour soutenir la croissance, par le relèvement du SNMG en 2003 et par les augmentations de salaires au profit de plusieurs catégories de fonctionnaire”, explique M. Brahim Ghanem. Le délégué à la planification souligne que la consommation finale des ménages a été d’environ 2 350 milliards de dinars en augmentation de 6%. L’épargne intérieure, de l’avis de M. Ghanem, reste très importante et s’établit à environ 2 870 milliards de dinars. Elle représente 47% du PIB. La grande part de l’investissement, selon le délégué à la planification, reste le fait de l’État et du secteur des hydrocarbures.
L’investissement de l’entreprise est globalement modeste, alors que les intentions d’investir enregistrées au niveau de l’ANDI, en grande majorité non encore concrétisées, totalisent en 2004 plus de 386 milliards de dinars.

Avec un prix du baril de 22 dollars, poursuite de l’embellie financière

Le délégué à la planification s’est montré optimiste sur les perspectives d’évolution à moyen terme de l’économie algérienne. Les questions de financement interne et externe de l’économie ne se posent plus avec l’acuité qui était la leur en 1998 et 1999.

Les travaux de prévision effectués au niveau des services de planification conduisent de manière cohérente et avec des niveaux d’inflation maîtrisés à des rythmes annuels moyens de croissance de 4 à 5% dans l’agriculture, 5% dans le secteur hydrocarbures et de 6 à 7% dans les autres secteurs, industrie et services.
M. Brahim Ghanem soutient que ces travaux montraient que même avec un prix de 22 dollars le baril, la viabilité de la position financière extérieure continuera de se renforcer avec, en outre, une prise en charge quasi totale de la question de l’endettement extérieur.

samedi, avril 23, 2005

Codéveloppement : L'argent des migrants irrigue l'économie des pays pauvres

Le monde, Article paru dans l'édition du 10.04.05

Les transferts de fonds des travailleurs émigrés se sont élevés à 126 milliards de dollars en 2004. Les organismes de microcrédits permettent aux populations sans accès au système bancaire de démarrer des activités


ur le boulevard Saint-Michel, la principale artère de Cotonou, comme sur l'avenue Jean-Paul-II adjacente, les panneaux publicitaires se succèdent sur le terre-plein central : « Money Gram, le meilleur système de transfert d'argent électronique », affirme l'un. « Western Union, transférez votre argent en quelques minutes », promet l'autre.

Au Bénin comme sur l'ensemble du continent africain, les transferts de fonds des travailleurs migrants vers leur pays d'origine sont un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Il est déjà très répandu en Amérique latine et en Asie. Dans une étude récente, la Banque mondiale chiffre à 126 milliards de dollars (près de 97 milliards d'euros) les sommes versées en 2004, soit 10 milliards de plus que l'année précédente.

Au niveau mondial, ces flux de capitaux privés représentent désormais le double de l'aide publique des pays riches au tiers-monde. Ils sont la deuxième source de financement externe des pays en développement, derrière les investissements directs.

Devenus un des éléments majeurs de l'économie du développement, les transferts de fonds - qui circulent du Nord au Sud mais également entre pays en développement - ont été, avec la microfinance, l'un des principaux sujets de la réunion, les 6 et 7 avril, des ministres des finances de la Zone franc, présidée par Thierry Breton, ministre français de l'économie.

Pour Abdoulaye Diop, ministre sénégalais des finances, « les envois des travailleurs ont une incidence ethnique, sociale et économique ». Ils sont l'un des liens entre les migrants, leur famille et leur pays. Au Sénégal, dit-il, ces transferts ont été multipliés par cinq entre 1999 et 2003, pour atteindre 232 milliards de francs CFA (360 millions d'euros).

Dans les huit pays de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cemac), cette manne est pourtant diversement appréciée. « Les pays exportateurs de main-d'oeuvre, comme le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso y trouvent une source supplémentaire de revenus », dit Polycarpe Abah Abah, ministre camerounais des finances. En revanche, ajoute-t-il, ceux qui accueillent des travailleurs immigrés, comme le Gabon, la Guinée équatoriale ou la Côte d'Ivoire, voient d'un moins bon oeil l'argent des migrants aller s'investir dans leur pays d'origine.

L'ambassadeur Christian Conan, chargé par la France d'animer un groupe de travail sur le codéveloppement, estime qu'un juste milieu devrait être trouvé. Il propose notamment de mieux canaliser les sommes qui rentrent au pays pour qu'elles servent non seulement à améliorer le niveau de vie des familles, mais qu'elles contribuent au développement économique du pays. Il recommande également d'inciter les migrants à épargner dans leur pays d'accueil pour contribuer, là aussi, à la création de nouvelles activités.

« UNE DÉPENDANCE »

Codjo Yemadje, Isaac Quenum et Hilarie Assogbahou n'ont pas de famille à l'étranger. Ces trois artisans béninois, le sculpteur, le tisserand et le teinturier, ont, eux, fait appel à un organisme de microcrédit pour acheter de quoi débuter : le métier à tisser, les tissus, le fil, le ciseau à bois. Ils ont emprunté 150 000 francs CFA (230 euros) chacun, sur douze mois à la Padme (Promotion et appui au développement des micro-entreprises). « Nous n'avons pas accès au circuit bancaire, aucune garantie à proposer et pas d'argent pour démarrer » dit Codjo. Ils sont des milliers dans son cas.

La microfinance, forme moderne de la tontine africaine, est l'autre phénomène en croissance spectaculaire dans les pays en développement. Quelque 60 millions de personnes bénéficieraient aujourd'hui de microcrédits dans le monde. En Afrique de l'Ouest, il existe aujourd'hui 591 institutions de microfinance, six fois plus qu'en 1993. Cinq millions de personnes en bénéficient, soit environ 7 % de la population totale et 15 % de la population active.

Pour les experts, le lien entre transferts de fonds des migrants et microcrédit est évident. Mieux géré, mieux canalisé, mieux réparti, l'argent venu de l'étranger pourra s'investir, via les organismes de microcrédit, dans des projets profitant aux communautés locales et plus généralement à l'économie du pays.

Les transferts de fonds soulèvent pourtant une question essentielle. Source importante de devises étrangères, « ils exercent un effet stabilisateur, car on constate qu'ils augmentent en période de crise économique, dit le ministre camerounais. Mais ils créent également une dépendance chez les bénéficiaires et encouragent la migration des jeunes travailleurs ». Quant aux microcrédits, leur taux d'intérêt extrêmement élevé - entre 17 % et 30 % - est, pour beaucoup, inadapté aux ressources des plus pauvres auxquels ils sont censés s'adresser. Ces questions seront abordées le 20 juin lors de la conférence de Paris présidée par Jacques Chirac. L'ONU a décrété 2005 « Année du microcrédit ».

Babette Stern

jeudi, avril 21, 2005

Des multinationales s'associent au financement du fonds mondial

L'argent, nerf de la guerre contre les pandémies

Par Christian LOSSON
mercredi 20 avril 2005


Mobiliser, toujours, «plus que jamais». Et pour cela, Richard Feacham, le directeur exécutif du Fonds mondial contre les pandémies, parle d'un «jour historique» pour qualifier le lancement, hier à Paris, des Amis du Fonds mondial Europe. Formule un brin démesurée pour un outil, même adoubé hier par la présence de deux ministres (Douste-Blazy, Santé, et Darcos, Coopération), destiné à «promouvoir le Fonds auprès de l'opinion publique européenne» ou à «sensibiliser le secteur industriel et commercial aux enjeux de solidarité internationale».

Vide. Pour oxygéner le Fonds mondial, qui, en deux ans d'existence, a lancé 300 programmes dans 127 pays, «il faut que les entreprises se mobilisent à leur tour», dit Michèle Barzach, présidente des Amis du Fonds Europe. Les fameux PPP (partenariat public-privé), vantés il y a deux ans ? C'est le vide, dénoncé même par un récent rapport du Forum économique mondial. L'an passé, moins de 4 % du cash du Fonds venait du privé. De fondations, en fait, comme celles de deux Bill (Gates et Clinton). «On a quand même deux ou trois firmes qui ont donné 1 million de dollars, assure Feacham, comme Winterthur ou Statoil. Mais c'est vrai, les PPP ne peuvent pas être que du cosmétique.»

Sur le papier, la cause n'est pas perdue. Il suffit de voir les PDG de multinationales membres du conseil d'administration de ces Amis du Fonds : Garnier (laboratoires Glaxo-Smith-Kline), Dehecq (Sanofi Aventis), Lauvergeon (Areva). Mais aussi Proglio (Veolia), qui tentait hier de montrer combien sa boîte, au Gabon, s'était convertie au double service public (eau et sida). Au Japon, Vodafone est de la partie. Aux Etats-Unis, c'est Jack Valenti, ex-président de l'association des producteurs de cinéma, qui dirige les Amis du Fonds. Il est aussi un fervent défenseur de la propriété intellectuelle qui bride l'essor des copies des médicaments à bas prix. «Les Amis du Fonds sont un réservoir prometteur de nouvelles ressources», répond Feacham.

Selon l'Onusida, il faudrait 20 milliards de dollars par an jusqu'en 2007. «On a besoin d'argent, confie Feacham. Il nous faut 2,3 milliards en 2005, 3,5 milliards en 2006... et 7,8 milliards en 2008.»

Joker. Comment y parvenir ? Par une double «révolution», souffle Feacham. D'abord, une prise de conscience des firmes et de l'impact du sida sur leurs salariés. Mais cela ne suffira pas. D'où le recours au joker : la carte de «nouvelles sources de financement», comme une taxe internationale. Une bouée de sauvetage toujours hypothétique. Surtout lorsqu'il s'agit, affirme Feacham, de faire «face au plus grand défi jamais rencontré par l'humanité». Une bombe à retardement : sida, tuberculose et paludisme tuent 16 400 personnes par jour.

mardi, avril 19, 2005

L`Afrique manque de grands économistes pour son développement

Ouagadougou, Burkina Faso, 18/04 - Le continent africain manque d`économistes de haut niveau capables d`analyser ses problèmes économiques en relation avec les dynamiques économiques et financières internationales, estime le directeur du Programme de troisième cycle interuniversitaire (PTCI) en Economie.

Interrogé par la PANA à Ouagadougou, le Pr Taladidia Thiombiano déclare que les économistes africains doivent être capables de conduire et interpréter des études et des analyses quantitatives sur le continent et souligne que : "le déficit des économistes en Afrique concerne tous les secteurs d`activités et vont au-delà des besoins universitaires".

Faisant le calcul des économistes formés chaque année par le PTCI, l`universitaire burkinabé conclut que 100 économistes titulaires du DEA (Diplôme d`études approfondies) par an pour 19 pays, "c`est peu puisque cela revient à moins de 6 diplômés par pays en moyenne".

L`ancien doyen de la Faculté des Sciences économiques et de Gestion de l`université de Ouagadougou plaide pour le prolongement du PTCI "dans le cadre d`un projet reformulé qui intègre les améliorations et les compléments nécessaires".

Créé en 1992 à l`Université d`Abomey-Calavi (l`ancienne université nationale du Bénin), le PTCI, qui regroupe dix-huit pays d`Afrique subsaharienne, a pour vocation de mettre à la disposition des économies nationales des économistes de très haut niveau et de palier leur insuffisance dans les universités et centres de recherches.

Outre le renforcement de la coopération universitaire Sud-Sud et Nord-Sud, l`objectif visé par le PTCI est d`améliorer le niveau des enseignants par des sessions de recyclage et de mise à niveau.

En dix ans d`existence, le PTCI a formé 800 étudiants titulaires du DEA et une vingtaine de Docteurs en Economie. Cette formation est basée sur trois options, dont la première est la macroéconomie appliquée avec trois spécialisations en monnaie, finance et banque.

Quant à la deuxième option, consacrée à l`économie des ressources humaines, ses étudiants sont spécialisés en économie du travail, de la santé et de l`éducation. L`économie industrielle, qui constitue la troisième option, donne droit à une spécialisation en économie de l`environnement et en économie industrielle.

Le taux de réussite académique est estimé à 94,4%.

Selon une enquête réalisée sur le devenir des étudiants du PTCI portant sur un échantillon de 10% de sept promotions, 98% des étudiants ont trouvé un emploi. 30,1% exercent dans l`enseignement supérieur et la recherche, 28,8% travaillent dans l`administration publique, 13,7% évoluent dans le secteur privé pendant que les projets, les organismes interafricains, internationaux et les ONG emploient 6,9% des produits du PTCI.

Toutefois, ajoute le Pr Thiombiano, dans les pays où la situation socioéconomique est instable, comme au Togo, les étudiants ont des difficultés pour s`insérer dans le marché de l`emploi.

A l`occasion du dixième anniversaire du PTCI, célébré les 14 et 15 avril derniers à Ouagadougou, une autre étude réalisée au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, au Niger et au Sénégal, notamment, indique qu`environ 95% des étudiants interrogés ont trouvé du travail à la fin de leurs études au PTCI.

Pour le Burkina Faso uniquement, tous les 65 étudiants interrogés sur les 120 qui ont été formés par le PTCI, disent avoir trouvé un emploi. "Le délai d`attente pour trouver le premier emploi est d`environ six mois si l`on en croit les jeunes diplômés burkinabé", commente le Pr Thiombiano, qui se dit satisfait des résultats obtenus.

Pour l`universitaire burkinabé, la formation au PTCI est bénéfique pour les Etats africains, car outre la faiblesse du coût (un étudiant burkinabé au PTCI coûte 6,5 millions de FCFA pour sa formation pour le DEA alors qu`il coûterait 10 millions de FCFA en France), cela permet d`éviter la fuite des cerveaux.

"Le fait aussi que les recherches soient faites dans le cadre des économies nationales et les résultats mis gracieusement à la disposition des pays est un avantage certains pour le continent", ajoute-t-il.

Avec un budget quinquennal de 3,4 milliards de FCFA sur une prévision de 6,5 milliards, le PTCI a été obligé d`amputer de son programme l`enseignement à distance. Néanmoins, la formation de cadres africains en gestion a été maintenue.

"L`entreprise privée, depuis l`avènement des Programmes d`ajustement structurel, constitue un volet très important dans le développement de la croissance économique. Et si nous n`arrivons pas à former de bons gestionnaires à mettre à la disposition du secteur privé africain, il est évident que nous allons continuer à avoir des entreprises chaotiques", prévient le Pr Thiombiano.

Le directeur du PTCI estime que l`Afrique a besoin de cadres compétents et compétitifs pour mener à bon port ses organes d`intégration telles que la BCEAO, la BEAC, la BAD ou encore le NEPAD.

Quant aux produits du PTCI, le Pr Thiombiano ne doute pas un instant de leur compétence et de leur compétitivité."Certains étudiants, qui sont allés aux Etats-unis d`Amérique pour poursuivre leurs études (notamment pour le PhD) ont été reconnus comme de très bons éléments, et les enseignants du Nord qui dispensent des cours au PTCI apprécient positivement nos étudiants parce qu`ils donnent les mêmes sujets et à la fin, certains déclarent que nos étudiants sont plus compétents", se félicite l`universitaire burkinabé.

lundi, avril 18, 2005

Senegal : Le fonds de développement du Canada intervient à Oussouye

Reconstruction de la la Casamance : Le fonds de développement du Canada intervient à Oussouye

Dans la reconstruction de la région naturelle de Casamance, le choix porté par le Canada sur le département d’Oussouye n’est pas fortuit. Car il relève d’un souci d’établir un équilibre dans la relance des activités économiques dans les zones les plus touchées par la crise.

Après la décision du comité conjoint sénégalo-canadien dans le cadre de la reconstruction de la Casamance, le Canada, par le biais du Fonds local de développement, vient de procéder au lancement de son programme d’appui à la relance des activités socio-économiques dans la région Sud. C’était le 13 avril dernier, au Cap Skirring, en présence des autorités administratives de la région Sud, des partenaires au développement et des masses bénéficiaires. Avec ce programme d’urgence dont le coût est estimé à 1,3 milliard de nos francs, la Coopération canadienne, à travers le Pa/Praesc, a choisi de jeter son dévolu sur le département d’Oussouye.

Selon les responsables du Fonds local de développement, le choix porté sur les communautés rurales du département d’Oussouye n’est pas fortuit. Il s’agit, en effet, de répondre à un souci d’équilibre dans la relance des activités socio-économiques au niveau des zones les plus touchées par la crise en Casamance. Cette nouvelle intervention de la coopération sénégalo-canadienne dans le processus de reconstruction de la Casamance permettra, selon M. Diop du Fonds local de développement, de booster les différents secteurs de la vie socio-économique au niveau des communautés rurales de Mlomp, d’Ouckout, de Santhiaba-Manjaque et de Djimbéring dans le département d’Oussouye. En effet, grâce à cette enveloppe financière de 1,3 milliard de francs Cfa, les programmes du Fonds canadien vont s’intéresser à certains volets du Programme de relance des activités économiques et sociales en Casamance (Praesc), un démembrement de l’Agence nationale pour la reconstruction de la Casamance (Anrac). Pour les communautés rurales ciblées dans la zone d’Oussouye, les interventions porteront, selon les différents partenaires du programme d’urgence, sur deux composantes principales. Il s’agit de l’appui au développement des infrastructures communautaires de base et de la promotion des activités économiques à travers la micro-finance et le micro-crédit sur une durée de 18 mois. En ce qui concerne le premier volet, les projets retenus en commun accords avec les masses bénéficiaires porteront, à en croire les responsables du Fonds, sur la réhabilitation ou l’aménagement des blocs maraîchers, le renforcement des capacités, l’adduction d’eau potable et la réhabilitation et la construction de marchés à Oussouye et à Santhiaba Manjaque. Au-delà de ces activités, le programme compte s’intéresser aussi la promotion du micro-crédit pour la génération de revenus et la lutte contre la pauvreté dans les départements d’Oussouye et de Ziguinchor à travers des institutions mutualistes de femmes et certains organismes évoluant dans ce domaine au niveau de la région Sud. Par ailleurs, le caractère transversal du projet permettra, en outre, de prendre en charge la réinsertion d’ex-combattants du maquis dans le circuit du développement.

Par ailleurs, les différents acteurs du programme n’ont pas manqué de souligner leur volonté d’œuvrer à la pérennisation des projets dans une approche participative avec les bénéficiaires. À cet effet, des contreparties symboliques seront mobilisées pour certains gros investissements que le programme aura à exécuter sur le terrain. La composante environnementale n’a pas été aussi laissée en rade. À en croire les bailleurs, le volet environnement sera pris en compte dans l’exécution des différents projets. Ils n’ont pas manqué de revenir sur la nécessité d’œuvrer en synergie avec les différents programmes intervenant dans les zones ciblées au profit des masses bénéficiaires.

samedi, avril 16, 2005

La taxe Tobin et l'aide au développement ?

- 2.060 milliards de dollars est le montant de la dette du Tiers-Monde, dont 1.600 de dettes publiques.

- Plus de 3.000 milliards de Dollars, c'est le montant quotidien échangé sur le marché des changes, tous produits confondus, c'est à dire aussi bien pour le change classique que pour les produits dérivés (le chiffre était de moitié moins il y a 10 ans).

- En comparaison, le montant annuel des échanges de biens et services est de 4.300 milliards de Dollars.

- Toujours, en guise de comparaison, le PNB annuel des Etats-Unis est de 10.400 milliards de dollars, celui du Japon 4.257 milliards, celui de la France 1.347 milliards.

- Et le budget annuel de la France est de près de 300 milliards d'euros (soit environ 400 milliards de Dollars).

- Au vu des volumes échangés quotidiennement sur le marché des changes, un prix Nobel d'économie James TOBIN a proposé, dans les années 70, de taxer les transactions spéculatives réalisées sur le marché des changes (une idée similaire avait d'ailleurs déjà été proposée par Keynes après le désastre économique de 1929).

Ce dernier considère en effet (à juste titre, d'ailleurs, les statistiques le prouvent) que les transactions dans leur majorité sont purement spéculatives (c'est à dire non liée à une activité commerciale ou d'investissement).

Qui plus est, ces transactions de durée relativement courte (jusqu'à la semaine pour 80% d'entre elles) peuvent mettre en péril certaines économies. On pourra citer en exemple la dernière crise asiatique dont l'effondrement des taux de change a été expliqué par le brusque retrait des capitaux spéculatifs ou encore la situation en Argentine, en Turquie.

- Replaçons cependant cette idée dans son contexte, c'est à dire les années 1970. A cette époque, le Système Monétaire International est en crise après l'abandon par les États-Unis du système de taux de change fixe.

La taxe proposée poursuit alors 2 objectifs :
* limiter la spéculation à court terme,
* permettre à divers institutions internationales de disposer de ressources.

- Les principales organisations anti mondialisation ont interprété les propositions de James TOBIN en proposant d'affecter les sommes perçues à l'aide au développement.

James Tobin a d'ailleurs pris position contre ces détournements.

Il a ainsi déclaré (dans un article du journal Le Monde) : « j’apprécie l’intérêt qu’on porte à mon idée mais beaucoup de ces éloges ne viennent pas d’où il faut. Je suis économiste et, comme la plupart des économistes, je défends le libre-échange. De plus, je soutiens le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout ce à quoi ces mouvements (anti-mondialisation) s’en prennent. J’estime être aujourd’hui mal compris. J’estime aussi qu’on s’est abusivement servi de mon nom pour des priorités qui ne sont pas les miennes. La taxe Tobin n’est en rien un tremplin pour les réformes dont ces gens veulent ».

En effet, pour beaucoup d'économistes, la meilleure façon de réduire la pauvreté dans le monde est justement de favoriser les échanges commerciaux.

Les hommes politiques se sont également dits intéressés par cette taxe aussi bien à droite (François Bayrou, Philippe Seguin, JAcques Chirac), qu'à gauche (Lionel Jospin).

- Les économies américaine et européenne ont bien changé depuis les années 70, elles se sont stabilisées et renforcées et on peut les estimer à l'abri de certains des déséquilibres observés à l'époque.

Cela n'est bien sûr pas le cas de pays plus modestes. N'oublions pas néanmoins que d'autres mesures existent pour combattre les entrées et sorties de capitaux purement spéculatifs : contrôle des changes, double marché, dépôt obligatoire non rémunéré, etc.

C'est d'ailleurs le contrôle des changes qui a permis à des pays comme le Chili, l'Inde ou la Chine de mieux résister que d'autres aux dernières crises financières.

Reste que les entrées financières que représente cette taxe (le taux appliqué va de 0,05 à 0,25% ce qui, selon James TOBIN lui-même ne devrait pas pénaliser les opérations commerciales) ont de quoi intéresser les gouvernements qui souhaitent réduire leur déficit budgétaire (et les élus en mal de popularité).

Ainsi pour la France, on estime que la taxe TOBIN représenterait une rentrée de près de 3 milliards de dollars par an.

2 questions restent en suspens : comment concrètement mettre en place une telle réforme et qui profiterait réellement de cette manne financière ?

En France, les partisans de la taxe Tobin sont regroupés au sein de l'ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions financières pour l'Aide au Citoyen).

Voir aussi : Dette du Tiers-Monde et financement du développement, état des lieux

vendredi, avril 15, 2005

Réformes judiciaires et bonne gouvernance : La part contributive de API-Burkina

Il s’est tenu du 6 au 13 avril 2005 à Ouagadougou, un séminaire sur la promotion et le renforcement de la bonne gouvernance politique au Burkina Faso. Une initiative conjointe de l’Organisation internationale de droit du développement (IOLO) basée à Rome et de l’Association des anciens participants du Burkina Faso (API-Burkina) et mise en œuvre par le Centre d’enseignement à distance de Ouagadougou (CEDO).
Une vingtaine de participants pour la plupart experts des questions juridiques et politiques ont pris part à ce séminaire international de formation à distance articulé autour de quatre modules. Le premier, "transparence de la justice et lutte contre la corruption", avait pour objectif d’édifier les participants sur les voies et moyens pour l’amélioration du système judiciaire qui, comme tout service public, doit être plus efficace et plus transparent dans sa gestion et utilisation des ressources publiques. Il existe en effet, une corrélation étroite entre le contrôle de la corruption et l’efficacité des réformes judiciaires, comme élément de base pour promouvoir la bonne gouvernance.

De plus, des systèmes juridiques équitables et efficaces participent à la lutte contre la pauvreté de façon durable. La lutte contre la corruption est un bien pour tous à long terme, et les hommes de lois doivent non seulement donner l’exemple, mais démontrer au quotidien la maximisation des effets positifs des réformes qui ont pour objectif d’avoir un système juridique et judiciaire intègre.

Le deuxième module à savoir "le statut du juge" visait à mieux faire comprendre pourquoi la nomination et la promotion des magistrats sont le préalable à la naissance d’une magistrature composée de professionnels hautement qualifiés. Les participants se sont confronté sur l’existence de codes déontologiques dans certains systèmes judiciaires.

L’éthique des juges a été traitée à travers l’analyse des méthodes de recrutement des juges, leur formation, etc. Quant au troisième module "Accès à la justice, droit coutumier et modes alternatifs de résolution des conflits", il a permis d’évaluer l’importance de l’existence et l’utilisation des nombreux systèmes alternatifs à la justice étatique comme moyen principal d’augmenter l’accès à la justice en particulier en faveur des plus démunis.

Les participants ont compris que les juges ne sont pas en compétition avec les "lois" coutumières, mais que la justice coutumière peut favoriser le désengorgement des tribunaux, trop peu nombreux. Donc, conciliateur, médiateur, arbitre sont de réels alliés qui vont faciliter le travail du juge. Tous les modes alternatifs de règlement des conflits ainsi que le droit coutumier doivent être utilisés comme moyen de maximiser, amplifier l’accès à la justice et résoudre le problème des distances pour accéder au tribunal le plus proche.

Le quatrième module enfin, "Impact des réformes judiciaires et promotion de la bonne gouvernance", a permis d’identifier les facteurs les plus performants pour développer un système judiciaire selon les critères d’une démocratie moderne. A travers les échanges interactifs, les participants ont envisagé les instruments qu’il faudrait donner aux magistrats pour ouvrir le chemin qui mène à la bonne gouvernance.

Ils ont indiqué qu’un plus grand respect et une mise en œuvre des principes fondamentaux de l’administration de la justice est prioritaire vers l’égalité de la justice, son indépendance et sa qualité dans la conduite du procès. La justice sous toutes ses coutures était donc en débat au cours de ce séminaire où, les Béninois, Malgaches, Sénégalais et Burkinabè ont épilogué sur l’avènement de processus démocratiques plus crédibles en Afrique. Un exercice utile, à l’heure où ceux-ci sont confrontés à une crise de croissance.

mardi, avril 12, 2005

Mettre l'OMC au service du développement

Il est proposé ici une nouvelle approche qui permettrait aux pays en développement de mieux s'intégrer au système commercial mondial et rendrait l'OMC plus favorable au développement en assurant que tous ses membres acceptent de s'engager sur une série de règles essentielles tout en laissant une plus grande latitude dans d'autres domaines, en particulier aux pays en développement qui ont bénéficié de dérogations à certaines règles.

Lire l'article

Source : Finance et développement

Les petits pays en développement ont-ils intérêt à s’intégrer au système commercial ?

Trois points de vue sur un thème très discuté à Doha

Point de vue explore les craintes suscitées chez les petits pays en développement par la participation au commerce mondial. Rubens Ricupero, ancien Secrétaire général de la CNUCED, souligne qu'il faut des initiatives concrètes pour exorciser leurs peurs de l'impact de la libéralisation. Faizel Ismail, chef de la délégation sud-africaine à l'Organisation mondiale du commerce, recommande d'agir sur quatre fronts pour apaiser les craintes des pays en développement. Enfin, Sok Siphana, Secrétaire d'État au commerce du Cambodge, affirme que la solution est dans l'ouverture, non dans l'isolement, et constate que le Cambodge a fait en sorte que les règles de l'OMC jouent en sa faveur.

Ces dernières années, les pays en développement — les plus petits et les plus vulnérables, en particulier — se sont interrogés sur les conséquences d’une participation plus active au système commercial mondial, redoutant d’être inondés par les produits des pays riches ou de concurrents meilleur marché. Pour mieux comprendre ces craintes, qui freinent considérablement les négociations commerciales multilatérales de Doha, F&D s’est adressé à trois spécialistes. Rubens Ricupero, ancien Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), souligne qu’il faut des initiatives concrètes pour exorciser les peurs concernant les conséquences de la libéralisation. Faizel Ismail, chef de la délégation sud-africaine de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), insiste sur la nécessité d’accorder une attention particulière aux petits États membres. Enfin, Sok Siphana, Secrétaire d’État au commerce du Cambodge, affirme que la solution est dans l’ouverture, non dans l’isolement, et constate que le Cambodge a fait en sorte que les règles de l’OMC lui soient favorables.

1) D’abord surmonter la peur

2) Accompagner la libéralisation

3) Cambodge, une évolution irréversible

Source : Finance et développement

Les théoriciens du capitalisme

Alternative économique - 3e trimestre 2005

Le capitalisme a fait l’objet d’analyses poussées, tant de la part d’économistes que de sociologues et d’historiens. Qui offrent des points de vue différents sur le sujet.

Economistes et environnementalistes entretiennent depuis longtemps des rapports plus souvent conflictuels que coopératifs. Pas étonnant : les premiers tiennent l’augmentation des quantités produites pour le critère par excellence de l’efficacité, alors que les seconds y voient surtout une forme de prédation. Ce qui est production de richesses pour les uns est source d’appauvrissement de la biosphère pour les autres. René Passet, l’un des rares à avoir tenté de faire le pont entre ces deux approches, oppose ainsi la logique du vivant – l’écologie – à celle des choses mortes – l’économie. La gravité des problèmes environnementaux et la nécessité de parvenir à les résoudre sans pour autant casser la « machine économique » obligent cependant de plus en plus économistes et environnementalistes à travailler ensemble.

« Capitalisme est un mot de combat » : l’expression de François Perroux, qui ouvre le Que sais-je ? consacré par le grand économiste au capitalisme, résume bien deux siècles de débats et de polémiques autour d’un thème qui sent le soufre. S’il en est ainsi, c’est, pour reprendre les termes mêmes de Perroux, parce que « Karl Marx et les marxistes l’ont jeté dans l’arène des luttes sociales. Ils l’ont chargé d’explosifs dont il n’a jamais pu se débarrasser tout à fait ». Ce n’est qu’avec l’affaiblissement, puis l’effondrement du « socialisme réellement existant » que les choses ont commencé à changer et que le capitalisme est redevenu un terme fréquentable, ou presque. Pourtant, économistes, mais aussi sociologues et historiens, n’ont guère cessé de disséquer le capitalisme, d’en analyser les ressorts, de s’interroger sur les sources de son dynamisme. Les réponses, bien entendu, ne convergent pas. Parce que le capitalisme est multidimensionnel et que, du coup, comme un kaléidoscope, il offre des perspectives bien différentes selon l’angle de vue retenu.

De Marx à Weber : la dynamique de l’accumulation
Karl Marx est le premier théoricien du capitalisme, le plus connu et le plus critique. Pourtant, curieusement, pas une seule fois il n’utilise le terme de capitalisme dans son œuvre. Il lui préfère systématiquement « mode de production capitaliste ». Ce n’est pas sans raison : pour lui, la supériorité du capitalisme réside dans sa dynamique productive. Marx l’affirme haut et fort, dans un texte très connu, tiré du Manifeste communiste rédigé avec Engels en 1848 : « Ce qui distingue l’époque bourgeoise de toutes les précédentes, c’est le bouleversement incessant de la production, l’ébranlement continuel de toutes les institutions sociales, bref, la permanence de l’instabilité et du mouvement. »
En émancipant les travailleurs de tous les liens de servitude qui les attachaient à une terre, à un homme ou à une famille, ce mode de production les a libérés juridiquement. Mais, privés le plus souvent des moyens de production nécessaires pour produire efficacement, les travailleurs n’ont eu d’autre solution pour vivre que de vendre leur force de travail et de devenir salariés des détenteurs des moyens de production. Lesquels n’ont alors eu de cesse de réinvestir – d’accumuler, dans le langage marxiste – l’essentiel de la plus-value issue de l’écart entre ce que produit le travail salarié et ce qu’il coûte à l’employeur.
La concurrence les y contraint : la survie de chaque capitaliste dépend de sa capacité à faire au moins aussi bien que les autres. Ce qui les pousse tous à tenter d’extorquer aux salariés davantage de plus-value encore, puisque tel est le prix de la survie : « Loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, l’ouvrier moderne descend toujours plus bas, au-dessous même des conditions de sa propre classe. (…) A mesure que la grande industrie se développe, la base même sur laquelle la bourgeoisie a assis sa production et son appropriation des produits se dérobe sous ses pieds. Ce qu’elle produit avant tout, ce sont ses propres fossoyeurs. »
Le trait de génie de Marx est d’avoir analysé la dynamique d’accumulation bien avant qu’elle ne se développe pleinement : ce n’est qu’une quarantaine d’années a près que ce texte a été écrit que naîtront les premières firmes géantes à l’organisation complexe, en Allemagne, en Angleterre et aux Etats-Unis. Il est le premier à avoir vu que la logique du système capitaliste était la croissance sans borne. Cela lui vaudra l’admiration de Max Weber et de Joseph Schumpeter. Mais, à l’inverse, le thème de l’inéluctabilité de l’effondrement d’un système social où les conflits s’exaspèrent entre une classe ouvrière de plus en plus nombreuse et de plus en plus exploitée et une bourgeoisie de moins en moins nombreuse et de plus en plus rapace, constituait clairement son talon d’Achille.
Les libéraux de l’époque montèrent donc au créneau pour exploiter cette faiblesse. De plus en plus d’inégalités et de misère, vous n’y pensez pas, Monsieur Marx ! La dénégation peut être naïve, comme chez Frédéric Bastiat : « Le Capital et le Travail ne peuvent se passer l’un de l’autre », écrit-il, majuscules incluses, dans ses Harmonies économiques (1850). Elle est à peine plus savante chez Paul Leroy-Beaulieu, qui écrit en 1881, dans son Essai sur la répartition des richesses : « Tous les progrès de l’industrie et de la science, on peut dire aussi tous les progrès de la finance, c’est-à-dire de l’art de ma nier les capitaux, tendent à diminuer l’écart entre les conditions humaines ; bien loin que le paupérisme en soit le fruit, il se trouve peu à peu éliminé par ces influences diverses. »
Plus d’un siècle après, on discute encore de la réalité de ces différentes affirmations, ce qui, à défaut de donner raison à Marx, prouve au moins que les évolutions ne sont pas aussi claires que l’affirment les libéraux. La main invisible du marché est affectée de quelques tremblements, le capitalisme a toujours du mal à intégrer le coût social (et désormais aussi environnemental) du changement incessant qu’il engendre, et encore davantage à se poser la question de l’utilité sociale de ce qu’il produit : la vente lui tient lieu de morale, ce qui est un peu court pour donner du sens à la société.
Max Weber, au début du XXe siècle, ne partage pas cette condamnation – à la fois économique et morale – du capitalisme. Le problème du grand sociologue allemand n’est pas de savoir s’il y a exploitation, et encore moins si le capitalisme peut survivre, mais de comprendre comment on en est arrivé là. Weber demeure dans l’histoire des idées comme celui qui a lancé « une des plus importantes controverses dans les sciences sociales » (1) : il avance, dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), que l’essor du capitalisme doit beaucoup au terreau culturel favorable suscité par le puritanisme protestant (en particulier chez les calvinistes). En effet, explique-t-il, chez les calvinistes, travailler dur et réussir est un des signes que l’on est élu de Dieu. Or, en même temps, la morale calviniste impose de vivre de façon ascétique : pas question de mener grand train, de profiter matériellement de son éventuelle réussite personnelle. D’où, explique Weber, un climat favorable – des « affinités électives », dit-il – créé en faveur du capitalisme qui, à la différence du brigandage, du commerce à la grande aventure ou de la féodalité, repose sur l’accumulation de capital productif : « Le capital se forme par l’épargne forcée ascétique. » Mais il s’agit plus d’un effet de levier que d’une cause, explique-t-il.
La thèse de Weber est donc subtile : elle ne prétend pas que les croyances et la culture sont à l’origine du capitalisme, mais qu’elles ont constitué un terreau favorable qui en a permis l’émergence. Puis que, le système une fois en place, le jeu de la concurrence a transformé en contrainte ce qui, au départ au moins, n’était qu’ascèse personnelle : « Le puritain voulait être un homme besogneux, et nous sommes forcés de l’être. » Les idées ont de l’importance dans la vie sociale, nous dit Weber, parce qu’elles donnent naissance à des structures qui imposent ensuite leurs règles propres.
Quant à Thorstein Veblen, s’il insiste sur l’acc umulation, ce n’est pas, comme Marx et Weber, pour en faire le support de la dynamique du capitalisme en tant que machine à produire, mais plutôt comme mode de vie. L’accumulation dont il parle n’est pas celle du capital, mais celle des objets ou des services de consommation : alors que, dans les sociétés traditionnelles, il s’agit de montrer ainsi son pouvoir, dans les sociétés capitalistes, il s’agit d’afficher sa réussite.
Veblen, à l’origine d’un courant d’analyse très vivant aux Etats-Unis avant la Seconde Guerre mondiale, le courant institutionnaliste, insiste sur le fait que la consommation sert à affirmer son appartenance à un groupe social et traduit en même temps le désir de chacun des membres de ce groupe à s’agréger au groupe social supérieur : « Toute classe est mue par l’envie et rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l’échelle sociale. » Cette tendance à l’émulation, ajoute-t-il dans sa Théorie de la classe de loisir, publiée en 1899, est « le plus puissant, le plus constamment actif, le plus infatigable des moteurs de la vie économique proprement dite ». Pour les classes dominantes, il s’agit de montrer de façon ostentatoire que l’on a « réussi » ; pour les autres classes, c’est de s’élever dans la hiérarchie sociale. Et Veblen de voir dans cette échelle de perroquet la cause profonde de la dynamique productive.
Son originalité n’est pas de critiquer l’univers de la marchandise, mais de montrer que cet univers engendre une demande sans fin, source d’une croissance sans fin. Le capitalisme est un apprenti sorcier, qui ouvre les vannes d’une production sans limite, puisqu’elle est de l’ordre du désir, pas du besoin.
Le capitalisme est d’abord une force d’accumulation qui ne supporte pas de borne. A cause de la production, parce qu’elle est source de plus-value, estimait Marx. A cause de la consommation ostentatoire, qui transforme le désir en demande sans cesse accrue, avançait Veblen. A cause d’une certaine éthique religieuse qui, cherchant la preuve du salut spirituel dans la réussite matérielle, a fait de l’entreprise le lieu d’une quête rationnelle de croissance sans limite, concluait Weber. Mais, dans les trois cas, le capitalisme est d’abord un système, une logique, une mécanique, dont le moteur est la poursuite d’une accumulation sans fin.

De Schumpeter à Perroux : le rôle des entrepreneurs
Et si, au lieu d’être un système, le capitalisme était d’abord une affaire d’hommes ? Telle est, en tout cas, la conviction de Joseph Schumpeter. Celui-ci s’intéresse moins à la naissance du capitalisme qu’à son développement, moins à ses caractéristiques qu’à sa dynamique. Schumpeter est autant sociologue qu’économiste. Ce qui caractérise le capitalisme, souligne-t-il, c’est la façon dont, sans cesse, de nouveaux produits, de nouvelles techniques, de nouvelles formes d’organisation apparaissent sur la scène sociale. Et il parle du « processus de mutation industrielle (…) qui révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de “destruction créatrice” constitue la donnée fondamentale du capitalisme : c’est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme, et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s’y adapter. »
Mais pourquoi donc cet « ouragan perpétuel » (le terme est de lui) qui donne le tournis ? A la pression de la concurrence ? Allons donc, répond Schumpeter, soyons sérieux : si des hommes – les chefs d’entreprise – sont prêts à prendre des risques, à lancer de nouveaux produits, à utiliser de nouvelles techniques ou à organiser différemment la production, c’est l’appât du gain qui les y pousse. Ils espèrent bien gagner le jackpot en étant les premiers à commercialiser ce nouveau produit ou à utiliser cette nouvelle technique. Si cela marche, ils vont en effet bénéficier, pendant un certain temps, d’un monopole de fait, durant lequel ils vont pouvoir s’enrichir prodigieusement. Pour Schumpeter, plus la carotte est grosse, plus l’on est prêt à prendre des risques.
François Perroux, dans la lignée de Schumpeter, souligne lui aussi (2) que le capitalisme est d’abord une « économie d’entreprises » qui repose sur l’innovation, donc sur les innovateurs qui prennent des risques pour bousculer les habitudes acquises et introduire, à leurs risques et périls, des changements. Mais, à la différence de Schumpeter, Perroux estime que l’Etat joue un rôle central : coordonnateur et arbitre, il donne corps et sens à l’ensemble national, sur lequel s’appuie chaque capitalisme particulier, y compris lorsqu’il s’agit de partir à la conquête du monde et d’affronter les autres capitalismes. Certes, ce sont les entreprises qui font le capitalisme, mais c’est l’Etat qui lui donne sa cohérence, son homogénéité et ses caractéristiques profondes. Le capitalisme est donc, par nature, un système mixte : « De capitalisme entièrement privé, l’histoire n’en a jamais connu : l’observation du présent ne nous en révèle aucun. »
Nous voici loin du marché et de sa main invisible : ce n’est pas la concurrence qui explique la dynamique du système, mais les firmes dominantes, grâce à l’innovation (Schumpeter) et l’Etat (Perroux).

De Keynes à Galbraith : le rôle des règles et des institutions
John Maynard Keynes, à la différence des deux premiers grands courants, ne s’intéressait guère à ce qui fait marcher le capitalisme, mais plutôt à ce qui pourrait l’empêcher de trébucher. Car Keynes écrit dans l’entre-deux-guerres, à un moment où, en Angleterre comme en Allemagne et avant même que n’éclate la grande crise, le système économique présente de sérieux ratés. Pour lui, les difficultés du capitalisme viennent de ce que « le monde n’est pas gouverné d’en haut de sorte que l’intérêt privé et l’intérêt social coïncident toujours. Il n’est pas correct de déduire des principes de l’économie que l’intérêt personnel éclairé œuvre toujours à l’intérêt public ».
Le laisser-faire aboutit à un mauvais rendement économique parce que les décisions que chaque entreprise est amenée à prendre pour résoudre une difficulté peuvent, par un effet boomerang, aggraver le problème au lieu de le régler : « Si un producteur ou un pays particulier diminue les salaires, alors, tant que les autres ne suivent pas son exemple, ce producteur ou ce pays peut accroître sa part de marché. Mais si la réduction des salaires est générale, le pouvoir d’achat de la collectivité est réduit dans la même mesure que les coûts ; et (…) personne ne s’en trouve plus avancé. » Le laisser-faire aboutit aussi à un mauvais rendement social, car « l’appât du gain et l’amour de l’argent constituent la principale force motrice de la machine économique ». Dans un système où seuls les plus performants tirent leur épingle du jeu, où les girafes qui ont le cou le plus long mangent toutes les feuilles disponibles, « nous ne devons pas négliger les souffrances de celles dont le cou n’est pas assez long et qui donc meurent de faim, (…) ni la suralimentation des girafes au long cou ni, enfin, l’angoisse et l’avidité qui assombrissent les doux regards du troupeau ».
Le problème, souligne Keynes, est que « les dévots du capitalisme (…) sont souvent des conservateurs manquant de mesure, et repoussent des réformes techniques qui pourraient vraiment le renforcer et le préserver, de peur que celles-ci ne se révèlent être la première étape de l’abandon du capitalisme lui-même » (3). Car Keynes est convaincu qu’aucune des tares du système économique, qu’elles soient économiques ou sociales, n’est fatale, à condition que des institutions spécifiques – de nature monétaire, bancaire ou financière le plus souvent – et une politique économique intelligente de l’Etat s’efforcent d’orienter les forces du marché vers l’intérêt collectif. Il a certes varié dans ses propositions – on le lui a d’ailleurs abondamment reproché –, mais elles tournent toujours autour de l’idée que, sans coordination et sans régulation, l’énergie potentielle du capitalisme est gaspillée en pure perte.
Avant lui, John Rogers Commons, un économiste américain, avait mis l’accent, dans les années 20, sur les règles collectives et les institutions qui facilitent l’émergence de groupes sociaux organisés : notre système économique, assurait-il en 1925 dans Legal Foundations of Capitalism, est caractérisé par « une diminution de la liberté individuelle, imposée en partie par des sanctions gouvernementales, mais surtout par des sanctions économiques à travers l’action concertée – secrètement, semi-ouvertement, ouvertement ou par arbitrage – d’associations, de corporations, de syndicats et autres organisations collectives d’industriels, de commerçants, de travailleurs, d’agriculteurs et de banquiers ». La « main invisible du marché » d’Adam Smith est de plus en plus fréquemment remplacée par « la main visible des managers », pour reprendre l’expression d’Alfred Chandler, et, plus largement, par la main visible des groupes sociaux.
Commons avance que, après le capitalisme des marchands, puis celui des industriels, s’ouvre celui de la stabilisation, dans lequel des règles et des accords temporaires entre groupes sociaux « subordonnent, en partie ou totalement, les individus à l’action collective (…) pour créer de l’ordre au-delà de l’instabilité ». Il s’agit, avance-t-il, de créer des anticipations favorables, donc de réduire l’incertitude inhérente au capitalisme industriel, dans lequel chacun ignore ce que les autres vont faire. Chacun est alors amené à calquer sur les autres pour agir : freiner quand les autres freinent, accélérer quand les autres accélèrent. Commons préconise donc une « nouvelle forme de gouvernement démocratique fondé sur l’action collective de toutes les classes sociales ». Ce qui lui vaut la sympathie de Keynes, qui lui écrit : « Il ne semble pas y avoir d’autre économiste dont je me sente le plus en accord avec la façon générale de penser » (4).
John Kenneth Galbraith, héritier de ce courant d’analyse, y verra l’émergence d’un « système industriel » dans lequel le pouvoir appartient à une « technostructure » (ensemble de cadres dirigeants salariés) capable de diriger rationnellement les rouages complexes de la grande firme dans une sorte de planification privée, souvent en symbiose avec l’Etat, au point que « ce qui est bon pour General Motors est bon pour l’Amérique ». Au total, l’évolution économique a conduit, estime Galbraith, à « la socialisation de l’entreprise évoluée ».
La boucle serait-elle bouclée ? Les trois grands courants de pensée qui se sont intéressés au capitalisme et à son évolution aboutissent en fait à la même conclusion : la socialisation de l’entreprise, son éloignement croissant de mécanismes purs de marché et son pouvoir grandissant. Or, depuis vingt ans, par une sorte d’étonnant renversement idéologique (sans doute favorisé par l’effondrement du « socialisme réellement existant »), c’est au contraire l’exaltation de la concurrence, du droit de propriété et de la capacité autorégulatrice du marché qui prévaut. L’idée de la « naturalisation du capitalisme » s’impose désormais : l’économie de marché aurait toujours existé et, au prix de pénibles processus de tris et d’erreurs, les hommes auraient peu à peu appris à reconnaître sa supériorité sur tous les autres processus sociaux pour produire et consommer de plus en plus. Dès lors, à quoi bon s’interroger sur son avenir ou sur son efficacité ? A l’ère des grands esprits visionnaires succède ainsi celui des boutiquiers besogneux. Il n’est pas certain qu’il faille s’en réjouir.


par Denis Clerc


(1) Voir Economie et sociologie, par François Cusin et Daniel Benamouzig, éd. PUF, 2004, p. 140. L’analyse qui suit doit beaucoup à ce livre.
(2) Dans Le capitalisme (1948), un Que sais-je ? qui n’a hélas jamais été réédité par les PUF, suite à une brouille entre l’auteur et l’éditeur. Sous ce titre, les PUF proposent désormais un autre Que sais-je ? rédigé par Claude Jessua, dans la plus pure tradition libérale, avec, au surplus, des inexactitudes méthodologiques.
(3) Toutes les citations de Keynes qui précèdent sont tirées d’un texte de 1924 intitulé « La fin du laisser-faire » et d’un article de 1930 intitulé « La grande récession de 1930 ». Celle qui suit est tirée d’un texte de 1925, « Suis-je un libéral ? ». Ces trois textes sont reproduits dans un recueil intitulé La pauvreté dans l’abondance, éd. Gallimard, 2002.
(4) Cité par Laure Bazzoli, dans son livre sur L’économie politique de John R. Commons (éd. L’Harmattan, 1999), d’où sont également extraites les citations de Commons.






Braudel, le marché et le capitalisme


On connaît le mot de Lénine : « Là où subsistent la petite exploitation et la liberté des échanges, le capitalisme apparaît. » Pas du tout, rétorque le grand historien Fernand Braudel, au terme de sa magistrale somme sur Civilisation matérielle et capitalisme (éd. Armand Colin, 1979). Durant des millénaires, la vie quotidienne s’est appuyée sur de l’autoconsommation, complétée marginalement par quelques échanges. Lorsque, avec la spécialisation et la division du travail, l’artisanat puis la petite production marchande se sont développés, il y a deux ou trois siècles, le marché a pris une importance croissante. Mais cette économie de marché n’a rien à voir avec le capitalisme, soutient Braudel.
Le capitalisme est issu du commerce au loin, des capitaux que de grands aventuriers manient et déplacent pour qu’ils rapportent le maximum. « Ce ne sont ni les mêmes mécanismes ni les mêmes agents qui régissent ces deux types d’activité », écrit Braudel. Car, même si l’économie de marché et le capitalisme s’appuient sur les « jeux de l’échange », l’un concerne la proximité, l’autre le vaste monde tout entier. Les acteurs de l’économie de marché sont fixés à leur métier comme le paysan à la glaise, alors que les capitalistes ne connaissent que la couleur de l’argent : les premiers se rencontrent dans les foires, les seconds à la Bourse. L’un et l’autre gonflent avec l’activité matérielle de base – la croissance –, mais pour l’un, l’échange est d’abord écoulement de la production, pour l’autre, il est source de puissance et d’enrichissement.
Est-ce si sûr, rétorque Alain Caillé (1) ? En posant que « les petits seraient du côté du (bon) marché, les gros de celui du (mauvais) capitalisme », notre historien suggère que l’on peut séparer le bon grain (l’échange) de l’ivraie (le capitalisme exploiteur), façon Staline des années 30, avance Alain Caillé. En fait, estime ce dernier, le capitalisme naît de l’activité économique – petite ou grande – dès lors que celle-ci s’autonomise des conditions sociales qui lui ont donné naissance, qu’elle se « désencastre », pour reprendre le terme de Polanyi, et devient une fin en soi. Marché et capitalisme sont consubstantiels : l’un donne naissance à l’autre dès lors que la loi du marché l’emporte sur les autres règles. C’est l’impérialisme de l’économie – le gain pour le gain dans un marché libéré de toute autre préoccupation – qui engendre le capitalisme, ce n’est ni le montant des capitaux mis en œuvre ni les motivations des acteurs.

(1) Dé-penser l’économique, éd. La Découverte, 2005. Les textes qui constituent les chapitres qui nous intéressent (3 à 5) ont été initialement publiés en 1982 et 1983.