vendredi, mai 26, 2006

L'avenir de la mondialisation

L'avenir de la mondialisation
LEMONDE.FR : Article publié le 10.05.06

L'intégralité du débat avec Joseph E. Stiglitz, chercheur associé à l'OFCE, Prix Nobel d'économie. En partenariat avec l'OFCE.

Pierre : M. Stiglitz bonjour, vous affirmiez en 2002 dans votre célèbre ouvrage La Grande Désillusion que la mondialisation "ça ne marche pas"... Selon vous, aujourd'hui, la mondialisation "marche"-t-elle un peu mieux ? Merci.

Joseph E. Stiglitz : D'une certaine manière, oui. Un certain nombre de choses, en effet, que nous mentionnons dans le livre, se sont améliorées. Par exemple, à l'époque, je parlais des dangers des flux de capitaux spéculatifs passant d'un pays à l'autre. Et aujourd'hui, même le FMI reconnaît le problème. Je parlais du système commercial mondial inéquitable, et les Etats-Unis et l'Union européenne se sont engagés à agir. Malheureusement, les pays en question n'ont pas entièrement honoré leurs engagements. Le FMI a moins changé sa politique qu'il ne l'aurait dû. Donc les problèmes que je mentionnais dans mon livre sont mieux perçus aujourd'hui, et un certain nombre de choses ont été accomplies. Mais il reste encore beaucoup à faire.

Lucas_C : Monsieur Stiglitz, ne pensez-vous pas que le changement climatique et ses conséquences alarmantes sur l'environnement prévues par certains modèles scientifiques ne forceront pas à une remise en question globale du système économique actuel ?

Joseph E. Stiglitz : Si, mais encore une fois, les ajustements nécessaires ont été assez lents, en particulier parce que les Etats-Unis ont été réticents à changer leur mode de vie, très gourmand en énergie. C'est une des questions que je vais traiter dans mon nouveau livre qui sortira à l'automne, intitulé Making Globalization Work (faire fonctionner la mondialisation).

Jep : Les pays émergents, pour entrer dans le cercle des pays économiquement développés, évoluent et entretiennent un cadre social archaïque, nous obligeant ainsi à en assumer le contrecoup (stress, chômage, tension au travail...). Si le protectionnisme économique est critiquable, que penser d'un protectionnisme du "progrès social" ?

Joseph E. Stiglitz : Je pense que ce qu'ils doivent faire, c'est s'assurer d'avoir des filets de protection sociale performants, reconnaître que la liberté du commerce peut faire baisser les salaires correspondant à des tâches peu qualifiées et augmenter les inégalités dans les pays riches. La réponse ne doit pas consister en plus de protectionnisme, mais dans le développement du savoir-faire, de la formation et dans un filet de protection sociale performant.

Jmmune : La mondialisation a-t-elle une chance de faire disparaître la pauvreté à l'échelle mondiale ? Si oui, dans combien de temps ?

Joseph E. Stiglitz : La mondialisation a aidé à réduire la pauvreté. Le succès des pays asiatiques comme la Chine, ou même l'Inde, a résulté dans le fait que des centaines de millions de gens sont sortis de la pauvreté. Malheureusement, dans la mesure où certains pays riches n'ont pas renforcé leur filet de protection sociale, mais l'ont au contraire affaibli, la pauvreté aux Etats-Unis et dans certains autres pays industrialisés est en train d'augmenter.

Laurent_1 : 2005 a été déclarée par l'ONU Année internationale du microcrédit. Pensez-vous justement que cet outil soit efficace pour lutter durablement contre la pauvreté ?

Joseph E. Stiglitz : Je pense que c'est un outil important et très efficace. Je suis allé un certain nombre de fois au Bangladesh, où l'idée du microcrédit est apparu, et les effets positifs du microcrédit y sont manifestes. Mais ce n'est qu'un des outils. Il faut en utiliser d'autres. Le microcrédit aide les plus pauvres des paysans, en particulier les femmes, dans la mesure où la plus grande partie des microcrédits a été attribuée à des femmes. Mais cependant, le microcrédit ne fournit pas les bases d'un développement majeur. Si bien que les femmes, qui étaient des paysans très pauvres, deviennent simplement des paysans pauvres. Mais cela ne fournit pas les bases d'un véritable développement, comme on a pu le voir en Corée ou dans les pays de l'Asie du Sud-Est.

"UNE DES FORCES DE LA FRANCE EST D'ÊTRE EN FAIT UN PETIT PAYS"

Lefoll : Croyez-vous au développement du concept d'entreprises socialement responsables et éthiques, notamment aux Etats-Unis ? Et qu'en pensez-vous ?

Joseph E. Stiglitz : Oui, vraiment. Je soutiens tout à fait ce que l'on appelle le mouvement de la responsabilité sociale des entreprises. Les entreprises, en particulier en Europe, sont passées à un triple niveau d'exigence : les bénéfices, l'impact sur l'environnement et l'impact sur les communautés dans lesquelles elles sont implantées. Par exemple, un des plus importants problèmes dans les pays en voie de développement est la corruption. Certaines entreprises aggravent le problème en se livrant à la pratique des dessous-de-table, et il arrive que les entreprises minières endommagent l'environnement. Mais certaines entreprises socialement responsables ont incité à plus de transparence, et ont même demandé des lois plus strictes pour protéger l'environnement. Certaines entreprises aux Etats-Unis ont même réduit leurs émissions de gaz à effet de serre, même si les Etats-Unis n'ont pas signé le protocole de Kyoto, car ces entreprises pensent que c'est socialement responsable.

Victoria26 : Que penser du patriotisme économique ? Est-ce une bonne chose pour les pays développés comme la France ?

Joseph E. Stiglitz : Je pense que cela dépend du secteur concerné. Quand les Etats-Unis ont essayé d'empêcher une entreprise chinoise d'acheter une entreprise américaine dont la plupart des actifs étaient en Asie, c'était une politique incohérente. En effet, si d'autres pays avaient appliqué le principe que les Etats-Unis essayaient d'appliquer, l'entreprise qui devait faire l'objet d'un achat n'existerait pas. Il y a eu un débat en Amérique sur une entreprise de Dubaï qui cherchait à acquérir des ports américains, où les Etats-Unis n'ont pas réussi à avoir la sécurité adéquate, et dans ce contexte, il est compréhensible qu'il y ait des résistances. Je pense qu'il est important pour les pays de tenter de développer leurs propres technologies. Et je pense que l'Europe a besoin de se préoccuper, par exemple, de la sécurité de son approvisionnement énergétique. S'il y avait la paix globale, le problème ne se poserait pas. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Nico : Bonjour, quelles sont pour vous les forces et les faiblesses de la France dans la "mondialisation" ?

Joseph E. Stiglitz : Je pense qu'une des forces de la France est d'être en fait un petit pays. Ses entreprises peuvent donc pénétrer sur de nombreux marchés étrangers sans créer les craintes que les compagnies américaines suscitent. La France dispose aussi d'un haut niveau technologique, ce qui lui donne également une certaine force dans l'économie mondiale.

Sun : Pensez-vous que l'on puisse, comme Immanuel Wallerstein, supposer que le XXIe siècle connaîtra un retour du protectionnisme ?

Joseph E. Stiglitz : C'est une question difficile. Cela dépend vraiment de la façon dont nous allons gérer la mondialisation et de la façon dont les pays riches, comme l'Europe et les Etats-Unis, répondront aux problèmes croissants d'inégalité et de pauvreté. Si nous avons des gouvernements comme aux Etats-Unis avec le président Bush, qui affaiblissent la protection sociale, qui accordent des réductions d'impôts aux plus riches, qui ne font rien contre la baisse du revenu moyen dans leur pays, contre la détérioration des conditions de vie, contre le fait que les gens doivent travailler plus pour des salaires moindres, alors il y aura une réaction forte contre la mondialisation, et le protectionnisme se renforcera. La mondialisation n'est pas la première cause de ces problèmes, mais c'est un des problèmes sur lesquels les citoyens peuvent agir. Et ils demanderont donc davantage de protection.

VladimirKarpets : Pourquoi une grande partie de l'Afrique reste-t-elle toujours en marge du commerce mondial ?

Joseph E. Stiglitz : La raison principale est que l'Afrique n'a pas pu produire beaucoup, et cela est dû au fait qu'il y a eu très peu d'investissements. Ce qui est dû à un cercle vicieux où la pauvreté mène à la corruption, aux conflits civils, à des investissements faibles dans le domaine de l'éducation. Ceux qui ont de l'argent à l'intérieur du pays l'ont sorti des frontières, et les investisseurs étrangers ont été réticents à s'engager, sauf pour exploiter les ressources naturelles.

Lucas_C : Dans La Grande Désillusion, une bonne partie des critiques visent les méthodes et le manque de bon sens de certains économistes du FMI et de la Banque mondiale. Pensez-vous qu'il soit possible de faire évoluer leurs méthodes ?

Joseph E. Stiglitz : Oui, mais c'est très difficile. Dans le cas de la Banque mondiale, je pense que quand j'y étais, nous avons fait des progrès. Depuis, il y a eu des inquiétudes sur le fait de savoir si l'on reviendra sur ces progrès en raison de la nomination du nouveau président de la Banque. Cela illustre un des problèmes essentiels : il s'agit d'institutions internationales, mais elles ne souscrivent pas aux principes démocratiques de base. Lorsqu'il y a eu un poste libre, elle n'a pas cherché le meilleur candidat possible pour entreprendre la tâche extrêmement difficile de promouvoir le développement dans le monde. Elle a laissé le président Bush nommer à peu près qui il voulait. Cela vaut aussi pour le FMI, sauf que dans un certain sens c'est encore pire, car un seul pays y dispose du droit de veto, les Etats-Unis. Au moins, à l'ONU, cinq pays, dont la France, ont le droit de veto.

Dmx : La Banque mondiale et le FMI sont-ils des outils de l'impérium américain ou des outils de développement ?

Joseph E. Stiglitz : Il n'y a pas de réponse simple. Par exemple, même si le président Bush a nommé le président de la Banque mondiale, celui-ci, lorsqu'il a pris ses fonctions, a critiqué la politique des Etats-Unis dans le domaine agricole comme défavorable aux pays émergents. En fait, dans de nombreux cas, la Banque mondiale a réussi à promouvoir le développement, à promouvoir les intérêts des pays émergents. L'économiste en chef de la Banque mondiale est un excellent économiste français qui est très honnête et qui ne manque pas de donner son avis lorsqu'il parle de ce qui est bon pour les pays émergents. C'est donc un peu plus compliqué : les Etats-Unis n'obtiennent pas toujours tout ce qu'ils veulent, mais ces institutions internationales n'ont pas tout l'impact positif qu'elles pourraient avoir si elles étaient plus démocratiques, et parfois même elles ont un comportement défavorable aux pays en voie de développement.

Une de mes préoccupations, c'est que parfois ces institutions ont même été plus conservatrices que le gouvernement américain. Par exemple, elles ont incité l'Argentine et de nombreux autres pays à privatiser le système de protection, notamment le système de retraite, alors même que l'opinion américaine a rejeté l'idée de la privatisation. Et cette privatisation s'est révélée catastrophique. La crise en Argentine est souvent attribuée au déficit public du pays, alors que le déficit en Argentine était presque entièrement dû à la privatisation en question. Ce sont donc ces politiques qui ont causé la crise en Argentine.

Uderzo : Le risque de surchauffe de l'économie chinoise est-il bien réel ?

Dialouz : La Chine pourra-t-elle jouer un rôle de contre-arbitrage de la mondialisation face à l'hégémonie américaine ?

Joseph E. Stiglitz : La Chine est encore beaucoup plus "petite" que les Etats-Unis. Bien qu'elle soit la deuxième ou troisième économie mondiale, elle ne représente qu'un huitième de l'économie américaine. Le revenu par habitant est encore plus petit, en pourcentage, qu'aux Etats-Unis. Ce qui est impressionnant avec la Chine, c'est la rapidité de sa croissance, en particulier dans l'industrie, qui force les Etats-Unis et d'autres pays à s'adapter très rapidement. Les récents débats sur les taux de change avec la Chine illustrent le problème. Le taux de change de la Chine n'est pas significativement sous-évalué. Si ce taux était réévalué, cela ne changerait rien au déficit commercial américain. Les Américains achèteraient peut-être plus de tissu au Bangladesh qu'à la Chine, mais on ne produirait pas davantage de textile aux Etats-Unis. La raison essentielle du déficit commercial est liée à la politique macroéconomique américaine, en particulier l'énorme déficit fiscal et le fait que les foyers américains n'épargnent pas. En fait, l'an dernier, l'épargne américaine a été négative pour la première fois depuis la Grande Dépression. Mais les Etats-Unis font porter la responsabilité de ces problèmes à la Chine, car ils ne veulent pas la faire porter sur l'administration Bush.

Michel : L'augmentation incessante du prix du pétrole et donc du prix des transports (qui ne devrait pas s'arrêter) ne signifie-t-elle pas la fin d'une certaine mondialisation ?

Joseph E. Stiglitz : C'est une excellente question dans la mesure où l'une des causes de la mondialisation a été la baisse des coûts des transports et des communications. Le prix élevé du pétrole et la crainte du terrorisme ont rendu plus onéreux les déplacements. Mais les facteurs sous-jacents à la mondialisation restent forts. Si bien qu'à moins d'un changement dans les politiques gouvernementales, comme par exemple avec le protectionnisme dont nous parlions, je pense que le processus de mondialisation va continuer.

Schelling : Etes-vous d'accord avec ceux qui affirment que la mondialisation, sous sa forme actuelle, précipite l'enrichissement des uns et l'aggravation de la situation des autres ?

Joseph E. Stiglitz : C'est plus compliqué. La mondialisation rend les riches des pays riches plus riches. Elle a aidé certaines des économies des pays émergents et en voie de développement à croître et à réduire la pauvreté. Mais elle a aussi rendu plus pauvres encore certains des plus pauvres. Ce sont là des conséquences de la façon dont la mondialisation a été conduite, mais je pense qu'il y a d'autres façons de procéder qui permettraient d'améliorer le sort des pauvres jusque dans les pays les plus pauvres. A mon avis, la question majeure est donc de savoir comment réformer la mondialisation pour s'assurer qu'elle fonctionne.

Traduit de l'anglais par Daniel Argelès

Chat modéré par Constance Baudry

vendredi, mai 12, 2006

En 2005, l’AFD a augmenté ses concours bancaires

En 2005, l’AFD a augmenté ses concours bancaires

Institution financière spécialisée, l’Agence française de développement (AFD) finance localement des projets économiques portés par les collectivités territoriales, les entreprises publiques et le secteur privé ou associatif. En 2005, le total de ses engagements s’est élevé à plus de 206 millions d’euros, un chiffre en progression de près de 15% par rapport à l’exercice précédent.

Ceux qui redoutaient il y a trois ans un désengagement de l’Agence française de développement après la vente de la Sofider à la Bred seront sans doute rassurés. L’année dernière le total des prêts accordés par l’AFD s’est élevé à 206,2 millions d’euros, ce qui représente une progression de près de 15% par rapport à l’exercice 2004. Cette évolution traduit la volonté de cette institution financière implantée à la Réunion depuis la départementalisation d’apparaître toujours comme un opérateur pivot dans le développement économique de l’île. Les chiffres rendus publics la semaine dernière illustrent cette stratégie d’enracinement. Sur les 206 millions d’euros d’engagements, plus d’une centaine ont été affectés au secteur public. L’Agence française de développement a augmenté de façon significative ses concours bancaires aux collectivités locales (+ 20 millions d’euros), un soutien qui s’est traduit par une série d’investissements. L’établissement public a par exemple financé l’extension du centre de stockage des déchets de la rivière Saint-Etienne, accordé un prêt de 10 millions d’euros à la CCIR, ou encore débloqué des crédits pour les travaux de reconstruction de l’école primaire de Stella. Ces interventions répétées en faveur des collectivités se sont réalisées sous forme de crédits bonifiés à un taux inférieur d’un demi point à celui du marché. La contribution à la mise en œuvre de politiques publiques n’a pas empêché l’AFD de soutenir le secteur privé à travers notamment les prêts aidés à l’investissement (PAI). Dédiés au financement des dépenses d’équipement des petites et moyennes entreprises, ces fonds sont accordés aux banques afin qu’elles puissent refinancer leurs clients à des taux privilégiés. En 2005, l’enveloppe mise à disposition du secteur bancaire par l’Agence française de développement a atteint 32,4 millions d’euros, un montant comparable à celui de l’année précédente.

UN ENCOURS DE 885,8 MILLIONS D’EUROS

L’AFD intervient aussi directement en faveur des entreprises en finançant la commande publique. Cet outil permet aux PME ayant des relations contractuelles avec le secteur public ou parapublic de réduire les délais de règlement, et donc les difficultés de trésorerie qu’elles doivent traditionnellement supporter. Adossée sur ce type d’opérations au groupe Oséo qu’elle représente localement, l’institution financière a engagé l’année dernière un volume de crédits de 68,8 millions d’euros. Cet activisme commercial se traduit dans les comptes. L’encours des prêts de l’AFD a atteint au 31 décembre 2005 885,8 millions d’euros, un chiffre qui intègre la gestion d’un ligne extinctive de crédits à l’habitat distribués jadis par le Crédit foncier de France (CFF). En 2006, l’établissement public affiche toujours les mêmes ambitions. L’Agence souhaite conforter sa position d’acteur de place auprès des banques réunionnaises en renforçant la gamme de solutions qu’elle propose et maintenir ses engagements en faveur des collectivités locales. Les perspectives d’intervention ne se limitent pas à la Réunion. Dans le prolongement des actions entreprises jusqu’ici, l’AFD espère accroître sa vocation de partenaire à l’échelle régionale et promouvoir l’île dans son espace géographique.

Florent Corée


Chikungunya : l’Agence française veut faire preuve de réactivité

Afin d’accompagner les entreprises dont l’activité a été affectée par l’épidémie de chikungunya, le groupe Oséo et l’AFD ont créé un fonds de garantie spécifique. Doté d’une ligne de crédit de deux millions d’euros, ce fonds a été abondé à parité entre l’État et la Région. Opérationnel depuis quelques semaines, ce dispositif de garantie n’est pas encore très sollicité. L’Agence française de développement a reçu à ce jour un seul dossier. Il s’agit en l’espèce d’une demande de restructuration de 15 000 euros qui pourrait faire l’objet d’une couverture à hauteur de 70%. L’institution financière rappelle que les entreprises souhaitant bénéficier de ce fonds spécifique doivent prouver l’existence d’un lien avéré entre la crise financière subie et l’épidémie. Pour les entreprises reconnues sinistrées peuvent être garantis jusqu’à 70% les lignes de crédits de trésorerie à court terme d’une durée maximale de 12 mois non renouvelables ainsi que les prêts à moyen terme d’une durée maximale de 3 ans ayant pour objet un report d’échéances de concours existants. Par dérogation, les entreprises ayant au moins un an d’existence peuvent également bénéficier d’un concours de restructuration financière.

Imprimé via http://www.clicanoo.com
© 1998-2005, Journal de l'Ile de La Réunion

L'Algérie a réussi à réduire sa dette

L'Algérie a réussi à réduire sa dette

L'Algérie, lourdement endettée et à bout de souffle il y a une douzaine d'années, a réussi à réduire sa dette extérieure de plus de la moitié, grâce à la manne pétrolière et l'option «irréversible» pour une économie de marché.
La dette extérieure de l'Algérie était de 15,5 milliards de dollars en février 2006, selon le ministre des Finances Mourad Medelci, alors qu'elle se situait autour de 34 milliards de dollars en 1994.
Parallèlement, les réserves en devises n'ont pas cessé d'augmenter grâce aux rentrées du pétrole passant de 17 milliards de dollars en 2001 à plus de 43 milliards à fin 2004, plus de 46 milliards à fin mai 2005 et 61 milliards en février 2006. Elles étaient d'un peu plus de
4 milliards en 1994.
En 1993, en pleine tourmente des violences islamistes, l'Algérie avait été obligée de dévaluer sa monnaie, de rééchelonner sa dette, essentiellement à court terme, et de réformer son économie étatisée et obsolète sous la houlette du Fonds monétaire international (FMI).
L'économie algérienne, sous le règne du parti unique du Front de libération nationale, était entièrement sous le monopole de l'Etat, dirigée par des décisions administratives, n'obéissant à aucun critère économique. Mais depuis 1998, elle a entrepris une libéralisation de son économie et une privatisation à marche forcée devant toucher près de 1 200 entreprises d'Etat.
Au nom d'un pragmatisme dont il avait annoncé la couleur dès son élection pour son premier mandat en avril 1999, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, a réaffirmé, en février 2005, l'option «irréversible» de l'Algérie pour une économie de marché. «La gestion socialiste de l'économie a fait son temps, notre pays ayant eu à satiété son lot d'expériences qui l'ont suffisamment renseignée sur la vitale nécessité d'un changement qui sera certes, sans précipitation, mais qui se fera assurément sans hésitation aucune», a-t-il affirmé.
En outre, dans le cadre de sa nouvelle politique d'ouverture sur le monde, l'Algérie a plaidé et obtenu que ses créanciers transforment sa dette en investissements, à l'instar de la France, son principal partenaire, qui a décidé de la convertir «systématiquement» en contrats pour les entreprises françaises. «La dette de l'Algérie envers la France sera systématiquement transformée en contrats pour les entreprises françaises. C'est un marché gagnant-gagnant», avait affirmé, en septembre 2004, Nicolas Sarkozy alors ministre des Finances.
Le contrat de conversion avec la France a permis de transformer en investissements un montant de 60,9 millions d'euros affectés au financement de trois projets réalisés par Michelin (pneumatiques), Société Générale (banque) et l'entreprise laitière Fromager BEL, a indiqué samedi M. Medelci devant les députés de l'Assemblée nationale.
Avec l'Espagne, 40 millions d'euros ont permis la réalisation à Skikda (est algérien) d'un projet de la société ibérique Vilar Mir, alors que 84 millions d'euros de la dette avec l'Italie devraient permettre de financer des projets sociaux et économiques, a-t-il ajouté.

Le rôle de l'environnement institutionnel et juridique

Le rôle de l'environnement institutionnel et juridique
par Thierry le Roy, Conseiller d'Etat
Intervention prononcée lors du colloque du 21 février 2006 Turquie-Maghreb : les conditions du décollage économique


Merci, Monsieur le Président.
La mondialisation de l'économie touche les pays en développement. Il est logique qu'il en aille de même de tout ce qui constitue l'environnement institutionnel et juridique de l'activité économique (qui est l'angle sous lequel il me revient d'aborder notre sujet).

Je me souviens des débuts de la « mondialisation » dans les pays d'Europe centrale et orientale (PECOS). Très vite, les organisations occidentales (Banque mondiale, FMI, UE) se sont intéressées à la réforme de la législation économique, financière ou sociale qui conditionnait le processus de « transition » de ces pays, après 1989, vers l'économie libérale.

Mais, dans cette orientation libérale, l'ingérence s'arrêtait au contenu des lois, aux portes de l'Etat (exécutif et judiciaire) et des services publics. S'intéresser aux fonctionnaires chargés notamment d'appliquer les lois et aux juges, même simplement au niveau de leurs salaires (pour éviter leur fuite vers les consultants privés) eût été de l'ingérence.

On est bien revenu de cette prévention, et le lien entre développement économique et réforme de l'environnement institutionnel et juridique est maintenant bien reconnu, par les pays concernés comme par les organisations internationales qui y travaillent (BM ou OCDE, notamment). On peut parler d'une approche économiste du droit.

1. L'irruption de l'environnement institutionnel et juridique dans la problématique du développement

Cette préoccupation n'est pas propre aux pays en développement. L'OCDE la porte pour ses membres depuis 1997, à travers l'examen des politiques d'amélioration de la « qualité réglementaire », ses recommandations de simplifications administratives (1), et l'accent mis sur une méthodologie basée, dans ce domaine, sur des indicateurs : indicateur de la qualité de l'environnement réglementaire (indépendance judiciaire, efficience du cadre juridique, poids de la réglementation, irrégularité de versement des amendes, fréquence des opérations d'initié), indicateur des insuffisances des institutions et des services publics essentiels (respect du droit, qualité des réglementations, lutte contre la corruption, tarifs de l'électricité pour l'industrie dans son ensemble).

Mais on trouve surtout cette nouvelle préoccupation à la Banque mondiale. L'initiative la plus récente et la plus illustrative de la démarche est sans doute celle qui porte le nom de « Doing business » (2).

Depuis 2004, la Banque publie un rapport annuel, établi avec le concours de quelque 3000 banquiers, fonctionnaires et juristes dans le monde entier, sur l'impact de la réglementation publique sur l'activité dans 145 pays. Afin de permettre des comparaisons internationales (benchmarking), on mesure avec une série d'indicateurs chiffrés les obstacles que peut rencontrer, dans le droit et dans son application effective, un entrepreneur aux différents stades de la vie de son entreprise :
• Procédures requises pour la création d'une entreprise (nombre de procédures, de jours, coût),
• Accès au crédit (réglementation des droits des prêteurs et emprunteurs, systèmes d'information publics et privés sur les sûretés…),
• Efficacité des voies, judiciaires ou non, d'exécution des contrats (nombre de jours requis, coût en % de la créance),
• Droits attachés à la propriété, sous différents angles : coûts et délais d'enregistrement de la propriété, protection des investisseurs (obligations d'information sur la propriété des entreprises, pour les minoritaires, efficacité des recours),
• Degré de liberté de l'employeur dans la gestion de la main d'œuvre, révélé par les indicateurs les plus fouillés : liberté d'embauche (CDD, stages,…), rigidité de l'ensemble des règles relatives à la durée du travail, liberté de licenciement (règles de motif, de préavis, accords préalables requis, obligation de formation et reconversion…), coût du licenciement (en nombre de jours).

A l'aide de ces indicateurs, appliqués uniformément à tous les pays, la Banque mondiale établit des comparaisons en termes de poids et rigidité des réglementations. Ces classements sont diffusés par exemple au Forum de Davos (où on a vu ainsi, en 2004, la France apparaître au 30è rang de l'indice de « growth competitiveness », devant la Tunisie 40è, la Turquie 66è, le Maroc 76è, l'Algérie 78è).

Se déduisent également de là des corrélations :
• Poids de la réglementation/pauvreté du pays,
• Importance de la protection de la propriété/richesse du pays,
• Poids de la réglementation et faible protection de la propriété, cause d'exclusion des pauvres du « doing business », de développement de l'économie parallèle,
• Taux de croissance et des investissements directs étrangers (IDE), réformes dans le sens de moins de réglementation (du travail, de la création d'entreprises,…) et de plus de protection des droits de la propriété.

Les premières publications, en 2004, ont surtout ému le peuple des juristes, notamment en France, car la BM classait les pays par grandes traditions juridiques (anglaise, française, nordique, germanique, socialiste), et faisait ressortir que les pays qui réglementaient le moins appartenaient aux traditions anglaise et nordique, ceux qui réglementaient le plus aux traditions française (et socialiste). Le droit français était un handicap par rapport à la common law.

Je passe ici sur les querelles et les réactions françaises depuis 2004. Pour venir à ce qu'enseignent ces indicateurs pour les pays qui nous intéressent (chiffres 2005) : On trouve bien les contrastes attendus entre grandes régions, par exemple entre zone OCDE et région Afrique du Nord-Moyen-Orient (ANMO, ou MENA en anglais) : dans la première, il faut moins de jours pour créer une entreprise, ou pour enregistrer un titre de propriété (sauf en France), il en coûte trois fois moins pour obtenir l'exécution judiciaire d'un contrat (en % de la créance) que dans la seconde ; l'indicateur de protection des investissements est trois fois plus élevé. L'opposition est moins nette, d'ailleurs, pour les indicateurs de liberté de gestion de la main d'œuvre, sauf pour le coût du licenciement estimé en nombre de semaines de préavis (35 contre 62).

Mais s'agissant de comparer la Turquie et les trois pays du Maghreb, les enseignements sont moins évidents : nombre de jours requis pour créer une entreprise (5 en France et OCDE, 5 au Maroc, 9 en Tunisie, 14 en Algérie), accès au crédit particulièrement difficile en Algérie, faute de système d'information sur les sûretés), coût d'exécution des contrats en % moyen de la créance (12 pour Turquie et Tunisie, 17 pour le Maroc, 28 pour l'Algérie). Plus encore, pour la protection des investissements, la Turquie ne fait globalement pas mieux que les trois pays du Maghreb, loin derrière la Tunisie ; pour la liberté de gestion de la main d'œuvre, c'est la Tunisie qui a la plus faible rigidité des règles de durée du travail, c'est l'Algérie qui a le plus faible coût moyen de licenciement, alors que la Turquie a des indicateurs proches de ceux de la zone OCDE.

Au total, ce gros investissement méthodologique et documentaire n'est sans doute pas sans mérite. Il révèle les lacunes les plus criantes du cadre juridique nécessaire à la vie des entreprises (par ex. sur le régime de l'enregistrement de la propriété, ou celui des sûretés pour le crédit : enjeux de sécurité juridique, de lutte contre la corruption).
Mais il trahit aussi les options politiques et idéologiques libérales qui sont celles de la BM quand il est question des droits attachés à la propriété ou sur la liberté de gestion de la main d'œuvre.
Enfin, on en tirera difficilement – parce que les comparaisons menées sur 145 pays selon une méthode uniforme ont leurs limites – que la Turquie montre dans ce domaine le chemin pour les trois pays du Maghreb.

Mais la Banque mondiale ne s'en est pas tenue là. Avec la même démarche quantitative et fondée sur des études empiriques, elle essaye depuis quelques années de mettre en lumière une relation plus globale entre la qualité de la « gouvernance » d'un pays, en particulier d'un pays en développement, et sa croissance ou son potentiel de croissance. Cette réflexion a son débouché dans les « réformes de la gouvernance » qui ont pris progressivement, leur place dans les programmes d'ajustement structurels négociés ou imposés par la Banque avec ces pays.

La gouvernance est à la mode dans le monde du développement, particulièrement dans cette région qui nous intéresse, ANMO (Turquie non comprise), où elle a fait précisément l'objet d'une étude plus systématique en 2004 (3).

Le raisonnement, purement économiste, est le suivant :

• On part des études et des modèles économiques dans ce qu'ils disent sur les déterminants de la croissance. Avec les outils et compilations statistiques constitués notamment depuis 1997 (travaux de Sachs et Warner), et les études désormais foisonnantes sur les sujets liés à la gouvernance, on voit surgir le facteur « qualité des institutions » à côté des facteurs traditionnels de la croissance. Que recouvre cette « qualité des institutions » ? On y met souvent des éléments connus des banques et des entreprises dans leur activité internationale pour contribuer au « risque pays » : l'autorité de la loi, la qualité de l'administration, la corruption et la qualité de la fonction publique, voire la fonction de responsabilité politique.
• La Banque mondiale a construit, pour la mesurer, un indicateur quantitatif de la qualité de la gouvernance d'un pays, applicable en théorie à tout pays, basé lui-même sur 22 indicateurs individuellement mesurables, regroupés en 2 catégories :
- Indices de responsabilité publique (« accountancy »), où on trouve le niveau d'ouverture des institutions politiques, les conditions de la participation politique, les grandes libertés qui les déterminent, le degré de transparence et de réactivité de l'Etat vis à vis des administrés, le degré de responsabilité politique dans la sphère publique.
- Indices de qualité de l'administration, mesurée à travers des indicateurs de la corruption, de la qualité de la fonction publique, de la réglementation pour les entreprises et des droits de la propriété, de la qualité de la gestion budgétaire et financière des pouvoirs publics, et de l'efficacité de la mobilisation des recettes publiques.
Peu importent, à vrai dire, ces catégories (à l'OCDE, on distingue plutôt ce qui stimule les IDE et ce qui touche à la gouvernance publique : questions d'organigramme …).

• Avec ces indices, chiffrés par pays, on fait ressortir des corrélations ex-post entre la qualité de la gouvernance et le niveau du revenu national.
Ainsi, l'application aux pays de la région ANMO fait apparaître le retard des pays de cette région sur ceux du reste du monde, même en limitant la comparaison aux pays dits à « revenus intermédiaires » dits PRII (entre 755 et 2995 dollars), l'indice de « responsabilité publique » est à 31 pour l'Algérie, à 39 pour le Maroc, à 35 pour la Tunisie, contre 54 pour la moyenne des PRII ; pour l'indice de « qualité de l'administration », les chiffres sont moins contrastés (respectivement, 41,51,54 et 41).

• La conclusion qu'en tire la BM est qu'il faut, prioritairement, travailler à améliorer la gouvernance de ces pays, par des réformes. De là naît un débat sur la possibilité de telles réformes. La Banque mondiale s'emploie à récuser toutes les fatalités qui s'opposeraient aux réformes de la gouvernance, dans ces pays particulièrement, telles que :
- la thèse de la « malédiction des ressources naturelles », dite « mal hollandais ». Thèse qui serait vérifiée statistiquement, et explicable notamment par la concentration de guerres civiles et de conflits qui s'associe souvent à celle des ressources : l'objection de la BM est qu'il y a des pays riches en ressources qui obtiennent une meilleure gouvernance que d'autres.
- la thèse de l'Etat rentier, qui utiliserait sa rente soit pour désamorcer les pressions sociales (moindre taxation, en particulier moins d'impôt sur le revenu, donc moindre exigence de représentation dans la population), soit pour financer une classe sociale de rentiers (fonctionnaires), soit enfin pour financer un appareil répressif efficace, notamment militaire. La rente porterait les pays ANMO vers l'autoritarisme politique, et freinerait leurs velléités de réforme.
- la « théorie de la modernisation », selon laquelle c'est la croissance économique qui entraînerait la démocratie et la bonne gouvernance, et non l'inverse. Thèse que ne valident pas même les études empiriques.
- l'explication culturelle, ethnique (le poids des structure féodales ou claniques) ou religieuse (le quiétisme politique de l'Islam, selon Bernard Lewis ; ou à l'inverse, plus récemment, la radicalisation politique en Islam) : corrélations pas mieux vérifiées. Sauf en Turquie : l'Etat laïc kémaliste, moteur de la modernisation de la gouvernance en Turquie ? Mais aujourd'hui, c'est presque l'inverse : la gouvernance se cherche contre l'héritage kémaliste (notamment militaire), sous l'égide d'un parti majoritaire non laïc…

De son côté, la méthode des indicateurs de la « bonne gouvernance » n'échappe pas aux critiques :
• méthode trop sommaire pour saisir intelligemment les éléments liés aux questions d'ordre institutionnel.
• indicateurs trop hétérogènes, mêlant les éléments liés aux institutions politiques et à l'administration, les aspects d'environnement juridique de l'activité économique au thème également actuel de la dérégulation et des privatisations.
Mais ces initiatives ont eu au moins un résultat : dans les pays en développement, la question de l'efficacité économique des institutions et du droit est à l'ordre du jour, « sur la table ».


2. L'application d'une politique de « réforme de la gouvernance » en Turquie

La Turquie a été un des premiers pays à prendre à bras le corps la question de la « bonne gouvernance », dans l'accompagnement de la libéralisation économique et de l'ouverture sur l'extérieur, qui ont succédé, à partir des années 80, au modèle de développement étatique et protectionniste de l'ère kémaliste. C'est peut-être l'ère des « lions anatoliens », ces entrepreneurs révoltés contre les excès de l'étatisme, au nom en particulier de ces PME qui font le gros de l'économie turque.

Ce qui frappe, en ce qui concerne la Turquie dans cette période de négociation de sa perspective d'adhésion à l'UE (depuis 1999), c'est l'intensité de l'encadrement international accepté par ce pays (et, avec cela sans doute, de l'aide, conditionnelle, qui l'accompagne) pour la mise en œuvre des réformes inspirées des critères, standards et indicateurs de la bonne gouvernance :

• Le FMI et la banque mondiale : accéléré par la crise économique de 2000-2001 (elle-même provoquée par une première tentative d'assainissement des finances publiques), l'engagement de ces IFI (FMI : accord de « stand-by » de 3 ans signé en 2002, qui a fait de la Turquie le 2è plus gros emprunteur auprès du Fonds ; BM : encours de prêts, notamment pour la restructuration du secteur public : 6,7 milliards de dollars en 2004) touche en priorité aux institutions et au cadre réglementaire. Il a notamment accompagné l'importante réforme du système bancaire (assainissement inédit dans la tradition turque ; réglementation, notamment des fonds propres des banques ; mise en place d'un dispositif de surveillance). Plus largement, on notera que c'est une étude de la BM (FIAS) qui a constaté, en 2001, que 92 % des investisseurs classaient la complexité et la non transparence des politiques réglementaires de l'Etat turc parmi les obstacles importants aux opérations des entreprises. Le mouvement était lancé.

• L'OCDE, dont la Turquie est membre, s'est aussi intéressée aux obstacles réglementaires qui y freinent la vie économique : elle a procédé, en 2002, à un « examen de la réglementation » (4) ; elle y est revenue en 2004 à la demande de la Turquie, lors de son examen de la situation économique et des problèmes de développement du pays. Une place importante est consacrée à l'évaluation de l'efficacité de la réglementation, et à la mise en place d'un « environnement des entreprises ouvert et non discriminatoire » (5).

• Mais c'est le dialogue avec l'Europe, le plus assidu, qui a joué le rôle moteur, en raison notamment des critères politiques et économiques dits de Copenhague, opposables depuis 1993 par l'UE aux candidats à l'adhésion. Critères politiques : institutions stables, démocratie, primauté du droit, DDH, protection des minorités, critères économiques : économie de marché viable, capable de supporter la concurrence sur un marché unique) :
- suivi par le Conseil de l'Europe (mars 2004 : rapport de la commission pour le respect des obligations et engagements des Etats membres : suivi des réformes constitutionnelles de 2000-2001 - notamment du rôle du Parlement - et réforme du Conseil National de Sécurité, suivi des grandes réformes des libertés publiques, droits culturels accordés au Kurdes. Inventaire de ce qui reste à faire : droits des femmes, des minorités, service militaire, lutte contre la corruption,…) ;
- suivi de la Commission européenne : rapports réguliers depuis qu'en 1999, au Conseil européen d'Helsinki la Turquie a été reconnue dans sa vocation de pays candidat, sur les « progrès réalisés par elle sur le voie de l'adhésion » (le dernier de ces rapports, en octobre 2004, servira de base à la recommandation d'ouverture des négociations, décidée au Conseil européen de 2005).

C'est dans ces cadres, avec ce « monitoring », comme disent la plupart de ces organisations internationales, que la Turquie s'est engagée dans un vaste programme de réformes institutionnelles et juridiques ces dernières années :

• Réformes de pans entiers de la législation économique, financière, fiscale, sociale : lois sur la concurrence (1994 et 1997), lois fiscales (TVA en 2002, IR et IS en 2003), programme de restructuration des banques privées et publiques (2001), réforme du droit des faillites (« approche d'Istanbul », 2001-2004), nouveau code du travail (2003 : il devrait ramener l'indice de protection de l'emploi de 3,6 à 1,5…), loi sur l'enregistrement des titres de propriété (2003), lois sur l'ouverture des marchés de l'électricité (2001), du gaz (2001), des télécommunications (2000, 2004). Nombre de ces réformes sont destinées à le fois à lever les entraves aux IDE (dont la Turquie avait moins profité, dans les années 90, que les autres pays émergents et notamment les PECOS), et à faire reculer la part énorme du secteur informel de l'économie (de l'ordre de 50 %).

• Réformes de l'administration : loi-cadre sur l'administration publique adoptée en juin 2004. Développement des méthodes modernes, basées notamment sur les audits internes et externes. Réforme des marchés publics (loi 2002). Mais surtout engagement d'un vaste programme de décentralisation des compétences et des ressources pour les services publics de l'Etat central vers les collectivités locales (lesquelles passeront ainsi de 10 à 50 %), avec un rôle coordonnateur de 26 agences de développement régional.

• Mêmes préoccupations dans la réforme judiciaire : pas seulement une perspective DDH-critères politiques de Copenhague, mais bien une réponse au souci de l'application des lois et règlements. Diagnostic de l'OCDE : trop de juges (7200) et surtout de juridictions, pas assez formées et spécialisées, dépourvues de moyens, mal payées et donc peu indépendantes. On raconte, dans la presse, que c'est par directive du ministre de la justice que les magistrats reçoivent instruction de conformer leurs jugements à la jurisprudence de la CEDH. C'est dire qu'il ne suffit pas de changer le droit pour changer la pratique de l'indépendance. La Justice coûte moins de 1 % du budget de l'Etat et se finance encore fréquemment par des contributions obligatoires ou facultatives des utilisateurs.

Il est encore un peu tôt, sauf exception, pour dire si, du fait de ces réformes, les indicateurs pertinents ont commencé de bouger dans le « bon sens ». Mais cet ensemble de réformes de l'environnement institutionnel et juridique est, pour la Turquie, au cœur du « processus de convergence avec l'acquis communautaire ».


3. Les trois pays du Maghreb : similitudes et différence

Le parallèle avec la Turquie est justifié, par delà les différences historiques de poids et de niveau de développement économiques.

Les histoires économiques sont parallèles : rôle de l'Etat dans l'économie (place des entreprises publiques, subventions économiques, protectionnisme), relations d'association avec l'UE (années 60), orientation « libérale » depuis les années 90 (80 pour la Turquie).

Les relations économiques avec l'UE ont beaucoup de similitudes : Union douanière (1995 pour la Turquie ; accords EuroMed des années 90 pour les 3 pays du Maghreb), prédominance de l'UE dans les échanges extérieurs : Turquie : 52 % des exportations, 48 % des importations avec l'UE, Maghreb : 57 et 59 % (en forte progression depuis 1990 : +53%).

Enfin, les deux ensembles sont, dans des termes proches, devant la question des investissements directs étrangers (IDE), ou plus largement de l'incitation à investir pour les capitaux, internes ou externes, qui seraient disponibles. La part des IDE, en effet, reste faible dans la FBCF (1 % pour la Turquie, 1 à 1,3 % pour les pays du Maghreb), principalement issus dans les deux cas de l'UE, laquelle donne la préférence aux pays émergents et plus encore aux PECOS, où la main d'oeuvre est plus qualifiée, l'expérience industrielle et le tissu industriel plus solides, mais aussi parce que l'environnement institutionnel et juridique inspire aux IDE une plus grande confiance.

Une grande différence : la perspective de l'adhésion

La perspective de l'adhésion a mis la Turquie dans la même catégorie que les PECOS pour tout ce qui concerne les facteurs institutionnels et d'environnement juridique de l'intégration économique, avec trois effets :

• Un effet moteur : la mise aux normes institutionnelles, à la fois politiques et économiques, est la condition préalable de l'ouverture de négociations d'adhésion (critères de Copenhague). Ce moteur joue jusque dans le cœur des institutions, puisque, en Turquie comme dans les PECOS, on trouve un « secrétaire général pour l'UE », chargé à la fois de la négociation et de la préparation à l'adhésion ;

• Un effet niveau. Le niveau de ces normes est fixé, très haut : c'est la reprise, après la convergence, de l'acquis communautaire (en commençant par la réglementation des douanes, la politique commerciale, le droit de la concurrence, la propriété,…).

• Un effet sur l'importance des engagements européens en retour. Les programmes d'aide sont entraînés à la hausse, des deux côtés (UE et Turquie), comme ils l'ont été pour les PECOS : importance accordée aux aspects institutionnels et juridiques, technique des jumelages, qui entraîne un flux d'experts de l'UE dans ce champ-là (plus qu'avec les simples programmes d'ajustement structurels de la BM dont ont bénéficié les pays du Maghreb).


Conclusion à tirer pour le Maghreb :

A partir du moment où ces pays suivent la même logique d'ouverture et de libéralisation économique que la Turquie, amorcée avec les grands accords d'association de 1995 (Tunisie), 1996 (Maroc) et 2002 (Algérie), ils doivent obtenir que les objectifs et les moyens de la coopération institutionnelle avec l'UE soient portés au même niveau.

Le besoin d'attirer désormais les IDE (ou l'investissement à domicile de l'épargne des nationaux) est reconnu, et avec lui la priorité à donner aux « réformes de la gouvernance ».
Plusieurs indices en font foi :

• Au plan bilatéral, la France, premier partenaire de ces pays à la fois en termes économiques, financiers et de coopération, fait désormais de la « coopération institutionnelle » un de ses (trois) grands axes de présence. Peut-être pour ne pas les abandonner dans ce domaine à l'initiative américaine dite « Broader Middle East and North Africa ». Et alors même que le bilan de l'action passée, par exemple de la coopération judiciaire avec la Tunisie, ou de la coopération policière et administrative avec la Maroc en matière de lutte contre le trafic de drogue et la migration clandestine, n'est pas toujours convaincant.

• Les programmes de l'UE (MEDA II) font une place, variable selon les pays, aux enjeux de la bonne gouvernance. Je pense à un programme MEDA avec l'Algérie pour la réforme de la Justice, doté pour les années 2006-2009 d'un important budget et mobilisant un bel effectif d'experts, pour appuyer la stratégie de réforme judiciaire engagée dès 1999 par le président Bouteflika : effectif et formation des juges et des greffiers, spécialisation des juridictions (tribunaux administratifs, tribunaux de commerce à créer), moyens matériels, notamment informatiques, réforme du CSM et relèvement des salaires des juges pour leur indépendance. On retrouve les éléments de la réforme judiciaire turque.

• L'OCDE même vient de lancer, en 2005, une initiative pour étendre à d'autres que ses membres, aux pays ANMO, ses exercices d'évaluation de la qualité de l'environnement réglementaire pour les investisseurs, et plus largement de la qualité de la gouvernance (dans 4 domaines : gestion budgétaire, simplifications administratives, qualité réglementaire, droits de l'homme et société civile).

Ces démarches convergent dans l'objectif de rapprochement des systèmes institutionnels et juridiques, mais requièrent le déblocage de moyens de coopération renforcés, apparentés à ceux auxquels une perspective d'adhésion ouvre l'accès.

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1) “From Red Tape to Smart Tape. Administrative simplifications in OECD Countries (OECD 2003)
2) Voir notamment « Doing Business in 2005. Removing obstacles to Growth». World Bank and IFCO University Press. 2005
3) « Pour une meilleure gouvernance dans les pays du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord ». Banque mondiale 2004 (ed ESKA)
4) « Turquie. Une aide capitale pour la reprise économique ». Editions OCDE 2002
5) Etudes économiques de l'OCDE. Turquie. Décembre 2004.

mercredi, mai 03, 2006

Nationalisation des hydrocarbures en Bolivie

Evo Morales nationalise les hydrocarbures en Bolivie

Par Lamia Oualalou
02 mai 2006, Le Figaro (Rubrique International)

L'armée a pris possession des champs exploités par les multinationales étrangères.

RIEN DE TEL qu'un week-end à La Havane entre Fidel Castro et Hugo Chavez pour en finir avec les hésitations. Rentré de Cuba hier, le président bolivien Evo Morales a surpris tout le monde en annonçant la nationalisation des hydrocarbures de son pays. Après des mois de tergiversations, il a opté pour la manière forte. «Nous demandons aux forces armées, ainsi qu'à des bataillons d'ingénieurs, d'occuper dès maintenant tous les gisements», a-t-il déclaré. L'armée s'est exécutée, qualifiant la décision d'Evo Morales de «nationalisation intelligente». Les vingt-six compagnies étrangères installées dans le pays, dont la brésilienne Petrobras, la française Total, l'Espagnole Repsol ou encore l'américaine ExxonMobil, ont 180 jours pour négocier de nouveaux contrats, sous le signe, dit le gouvernement, «de l'équité et de la justice».

En privé, certains dirigeants des compagnies étrangères reconnaissent que cette équité a trop longtemps été absente des contrats boliviens. Non seulement la population n'a jamais profité des bénéfices engendrés par l'exploitation des ressources naturelles (mines hier, hydrocarbures aujourd'hui), mais ces derniers étaient faibles. Le Brésil et l'Argentine, puissants voisins voraces en énergie, avaient bien trop intérêt à s'approvisionner en gaz à bas prix pour se préoccuper des conséquences de ce partage inégal sur le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. La Bolivie est depuis trois ans en ébullition, le débat sur l'exploitation des hydrocarbures ayant déjà entraîné la chute de deux présidents. Evo Morales le sait : depuis cent jours au gouvernement, il doit déjà affronter une vague de mouvements sociaux lui rappelant ses engagements.

Une popularité historique

C'est fort d'une popularité historique (près de 80%), que le chef d'Etat bolivien décide d'imiter un de ses voisins, Hugo Chavez. Le président vénézuélien a imposé plus que négocié une transformation des contrats avec les multinationales étrangères contraintes d'accepter ses propositions avant le 31 mars dernier, ou d'abandonner certains de leurs champs. Hormis l'américaine ExxonMobil, elles ont toutes accepté, avec la grimace. Le niveau historique des cours du pétrole (plus de 70 dollars le baril), les en a convaincus. Mais la Bolivie a beau être à la tête du deuxième plus grand gisement de gaz du continent, elle n'est pas dans la même situation. Ses capacités financières inexistantes et l'absence de savoir-faire la font dépendre des entreprises étrangères. Surtout, Evo Morales prend le risque de braquer le Brésil, dont les entreprises contrôlent un bon tiers de l'activité du pays, dans les hydrocarbures, l'agriculture ou les mines.

Ayant annoncé qu'il gouvernerait sans tuteur, Evo Morales passe pourtant progressivement dans l'ombre d'Hugo Chavez. Un mouvement qui s'explique sans doute en partie par le repli du Brésilien Luiz Inacio Lula da Silva sur son pays, à six mois de l'élection présidentielle. Ce week-end, à La Havane, Evo Morales a décidé de faire de son pays le troisième membre de l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba), un projet régional d'intégration économique et politique dont la dynamique dépend exclusivement des pétrodollars d'Hugo Chavez.

lundi, mai 01, 2006

Le Développement ; un cadeau empoisonné pour le Sud

[ Paris - France ] ( 29/04/2006) Guy Parfait Songue

Le concept de développement est en lui-même, si l'on veut le prendre tel que « concept », complexe, et il traîne derrière lui toute une histoire. Nous ne pourrons pas ici en étudier toute l'historicité mais nous passerons tout de même par des axes qui permettont de d'entrevoir son passé et son évolution. En outre, nous nous ferons le devoir de prendre les pays du Sud comme champ de validation de ce concept, tout en étant le plus réaliste possible dans notre analyse.

Lorsque les problèmes du Tiers-Monde ont commencé à se poser, d'autres facteurs comptaient davantage, dans le domaine des idées comme dans celui de la pratique du concept de développement. Il s'agissait des facteurs « idéologiques » et « diplomatico-stratégiques » qui à l'époque, avaient une importance de dernier plan aux yeux de tous les acteurs : Guerre froide ; opposition des conceptions libérales de l'Occident et des critiques revendications fondées sur des idéologies dites « tiers-mondistes » ; souci des pays développés de maintenir, de conforter ou d'acquérir des avantages d'ordre militaire, commercial, financier ou culturel, etc.
Si la connotation économique prévalait aussi bien dans la conception du développement que dans celle de l'aide, c'est que le capitalisme et le socialisme, l'un et l'autre issus de l'Occident donnaient à l'économie une primauté conçue certes de manière différentes dans chacune de deux idéologies, mais toujours déterminante. Avec le contexte de la guerre froide, les affirmations tiers-mondistes suivant lesquelles le sous-développement avait pour cause unique l'exploitation d'origine capitaliste et impérialiste posaient le problème de la pauvreté et du retard du développement du Sud.
A cela venait s'ajouter dans les deux camps des motivations d'ordre éthique : au Nord, devoirs envers les pauvres et parfois « sentiments obscurs ou avoué de culpabilité » ; au Sud « exigence impérieuses de justice et d'équité ». La vision globale de l'action internationale pour le développement se résumait avant tout à l'élaboration et la mise en œuvre de « politiques d'aide économique », qu'elle que fussent les autres motivations des divers intéressés. La conception que l'on s'est faite avec le temps du développement a évolué durant des siècles ; nous n'en ferons pas état ici.
Le développement longtemps venté par les pays du Nord et importé au Sud, n'a pas produit les fruits attendus ; et rapidement (entre 1960 à 1990) l'on s'est trouvé dans un scénario catastrophe. Il fallait impérativement que les pays du Sud reçoivent de l'aide pour atteindre les objectifs du développement qu'ils sont sensés atteindre. L'aide fixée à 1% du produit intérieur brut (PIB) des pays de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), lors de la première décennie du développement des Nations Unies en 1960, réajustée à la baisse à 0,70% en 1992 à Rio et en 1995 à Copenhague, n'atteignait pas les 0,25% en 2000. On se plait à parler de développement aux pays pauvres depuis des décennies si ce n'est plus, or le développement réellement existant, c'est la guerre économique (avec ses vainqueurs et surtout ses vaincus), « le pillage sans retenue de la nature, l'occidentalisation du monde et l'uniformisation planétaire, c'est la destruction de toutes les cultures différentes ».
Difficultés de l'aide au Développement
Les quatre cinquièmes de la population du monde vivent dans les pays en développement et un cinquième (1,3 milliard de personnes) vit dans une situation d'extrême pauvreté ; leur nombre va croissant. Les 20% des habitants de la planète les plus pauvres se partagent à peine plus de 1% du revenu mondial en 2000, contre 2,3% en 1960. Il existe un vieux débat sur le montant de l'aide, mais ce débat masque un autre aussi important si ce n'est plus : les objectifs même de cette manne, trop souvent liés aux intérêts des donateurs.
Certains estiment que les concepteurs de l'aide ne sont pas à blâmer. Au contraire, le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz affirmait que leur approche revient à « utiliser un lance-flammes pour enlever la peinture décrépie d'une maison et à se lamenter ensuite de ne pas pouvoir repeindre sous prétexte que la maison est réduite en cendres ». La réduction de la pauvreté n'est devenue la raison d'être officielle de l'aide internationale qu'à la fin des années 1990. Cependant comme elle avait été conçue pour atteindre parallèlement deux objectifs (la lutte contre le communisme et l'ouverture des marchés aux produits et aux investisseurs occidentaux), on peut douter de la réalité de ce changement de stratégie. L'aide au développement est truffée d'ambiguïté. Au-delà de des proclamations, le devoir de donner cache un « jumeau inséparable » et beaucoup plus grand : le désir de prendre.