mardi, mai 10, 2005

Nouveau pôle Sud-Sud

Arabes et Sud-Américains tentent de former un nouveau pôle Sud-Sud

AFP

Le premier sommet entre pays arabes et sud-américains s'est ouvert mardi 10 mai à Brasilia, au Brésil, en vue de donner naissance à une alliance nouvelle entre deux régions distantes mais qui veulent coopérer davantage sur le plan économique et politique.

Cette rencontre inédite rassemble une partie des dirigeants des 21 pays membres de la Ligue arabe, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et neuf des douze présidents des pays d'Amérique du Sud. Cinq pays arabes devaient être représentés par leur chef d'Etat (Algérie, Irak, Qatar, Djibouti et l'Autorité palestinienne) et trois (Syrie, Liban, Mauritanie) par leur premier ministre. Ce sommet prendra fin mercredi.

"Nous sommes devant une occasion historique de poser les jalons d'une forte coopération entre Amérique du Sud et monde arabe", a déclaré le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, à l'ouverture du sommet, rappelant que son pays était à l'origine de ce sommet dont l'objectif est de "travailler au rapprochement de deux régions lointaines".

Le sommet s'est ouvert sous la surveillance étroite de 9 000 policiers et militaires, dont des unités anti-émeutes. Selon des sources diplomatiques brésiliennes, le sommet sera divisé en deux parties. Les représentants des différentes délégations devaient avoir, dans un premier temps, des discussions sur la coopération économique bilatérale marquées notament par les interventions du président argentin, Nestor Kirchner, ainsi que du président algérien et président actuel de la Ligue arabe, Abdelaziz Bouteflika. Ils devaient ensuite débattre des moyens à mettre en place pour un rapprochement politique et culturel accru.

CONTRECARRER L'HÉGÉMONIE AMÉRICAINE

Les chefs de la diplomatie et hauts représentants des pays arabes et sud-américains ont en commun de vouloir contrecarrer l'hégémonie américaine et développer leurs débouchés commerciaux. Le ministre des affaires étrangères brésilien, Celso Amorim, a appelé à une "alliance entre les civilisations" rappelant les liens existant déjà, résultats de 150 ans d'immigration syro-libanaise en Amérique du Sud.

Le ministre d'Etat algérien Abdelaziz Belkhadem, représentant personnel du président Abdelaziz Bouteflika - co-président du sommet avec le président brésilien Lula - a souhaité l'établissement d'une "coalition sur le plan culturel, économique et politique".


Le sommet devait aussi être l'occasion de faire un bilan des relations internationales, selon M. Belkhadem, qui a déploré les "tensions" au Moyen-Orient, citant la question palestinienne comme un point important abordé à Brasilia.

A ce propos, le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a indiqué n'avoir rien à faire des préoccupations exprimées par Israël vis-à-vis du message politique du sommet. "C'est leur problème s'ils sont inquiets ou pas. S'ils veulent ne plus s'inquiéter, ils devront changer leur politique dans les territoires occupés, qui crée beaucoup de tensions", a-t-il indiqué.


SOUTIEN À LA CAUSE PALESTINIENNE

Selon des sources brésiliennes, les Etats-Unis, inquiets que le sommet ne se transforme en forum contre leur politique au Moyen-Orient et celle d'Israël, ont fait pression sur leurs alliés (Egypte, Maroc et Jordanie notamment, dont les dirigeants sont absents) afin de réduire l'impact de la rencontre.

Selon le projet de déclaration finale, les leaders apporteront également leur soutien à la cause palestinienne, s'inquièteront des sanctions imposées à la Syrie et critiqueront implicitement Israël pour sa politique nucléaire. Encore au stade d'ébauche, le texte pourrait reconnaître aussi "le droit des pays et peuples à résister à l'occupation étrangère", formule interprétée comme une critique de l'intervention américaine en Irak.

Le secrétaire général adjoint de la Ligue arabe, Ahmed Ben Helli, a souligné que les pays arabes ont proposé un mécanisme de suivi et de coordination politique pour que le sommet "ne soit pas le premier et le dernier". "Ce doit être le début d'un partenariat économique et politique entre deux blocs du Sud qui ont des intérêts en commun", a-t-il déclaré.

Les membres de la Ligue arabe comptent sur leurs nouveaux alliés d'Amérique du Sud pour soutenir la candidature égyptienne à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Le Brésil, pays hôte du sommet, espère la réciproque le jour où il postulera à un siège permanent.

En contrepartie, les pays arabes sont disposés à accroître leurs échanges et leurs investissements dans la région.

En marge du sommet, afin d'encourager des échanges bilatéraux encore limités (10 milliards de dollars - 7,8 milliards d'euros - par an), le Brésil a organisé une foire réunissant 1 200 industriels dont 200 arabes. Beaucoup ont confié trouver en Amérique du Sud des produits plus compétitifs qu'en Europe ou aux Etats-Unis et un climat des affaires moins crispé vis-à-vis d'un monde arabe mal perçu depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Acteur mondial, le Brésil doit aussi s'affirmer en Amérique du Sud

Paris, le ministre brésilien des relations extérieures, Celso Amorim, vient d'arracher à l'Union européenne (UE) un accord sur les droits de douane agricoles qui permet de relancer les négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Sa satisfaction de voir conforté le rôle du Brésil comme acteur global est tempérée par les tensions que suscite son leadership régional.

A Buenos Aires, le quotidien Clarin s'est fait l'écho, le 2 mai, d'une réunion convoquée par le ministre argentin des affaires étrangères, Rafael Bielsa, avec six ambassadeurs péronistes. Le journal progouvernemental attribue au président argentin, Nestor Kirchner, des propos désabusés : "s'il y à un poste à prendre à l'OMC, le Brésil le veut ; s'il y a une place au Conseil de sécurité de l'ONU, le Brésil la veut ; ils voulaient même un pape brésilien !"

Les Argentins reprochent aux Brésiliens le déséquilibre du commerce bilatéral et l'achat de grandes entreprises argentines, comme Perez Companc (acquis par Petrobras) ou la brasserie Quilmes (achetée par Brahma). "Si le Brésil veut être le leader de la région, il doit ouvrir le portefeuille et aider ses partenaires à avancer" , plaide l'Union industrielle argentine.

Celso Amorim fait assaut de modestie. "Il y a peut-être eu un malentendu, car nous sommes humains, faillibles, dit-il. Le Brésil a des frontières avec dix pays sud-américains et se doit d'avoir une politique à l'égard de toute l'Amérique du Sud, mais cela ne diminue en rien l'importance stratégique que nous attribuons à l'Argentine, par-dessus toute autre relation."

"Nous n'aspirons pas à l'hégémonie, assure M. Amorim. Mais le Brésil est plus grand, il croît davantage, et nous devons donc être plus attentifs aux effets de notre politique sur nos voisins. En décembre 2004, le sommet du Mercosur -l'union douanière sud-américaine- s'est penché sur les asymétries entre les pays membres. La BNDES -banque brésilienne de développement- peut compenser les déséquilibres, en finançant des investissements industriels. Puisque l'argent vient des contribuables brésiliens, il faut rechercher l'intérêt réciproque. L'avenir est aux joint-ventures -entreprises communes-."

SOMMET LE 10 MAI

Outre l'intégration régionale, Brasilia cherche à promouvoir les échanges Sud-Sud, pour réduire l'écart entre pays industrialisés et pays émergents. "D'ores et déjà, les exportations brésiliennes à destination des pays en développement équivalent à celles destinées aux Etats-Unis et à l'Europe réunies, explique le ministre. Le but n'est évidemment pas de remplacer l'Amérique ou l'UE, mais de diversifier nos débouchés. Avant même la tenue du premier sommet des pays sud-américains et des pays arabes, à Brasilia, le 10 mai, cette initiative est un succès. La tournée du président Lula au Moyen-Orient a éveillé les entrepreneurs. L'Arabie saoudite vient de nous acheter 15 avions, le Qatar 500 autobus, en plus des exportations de viande et des projets dans le bâtiment. La Chine est un cas à part, nos ventes atteignent les 10 milliards de dollars."

La diplomatie n'étant pas un simple relais du commerce, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, et son homologue chilien, Ricardo Lagos, se sont retrouvés avec le chef de l'Etat français, Jacques Chirac, et le président du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, pour relancer la lutte contre la pauvreté. En Haïti, le représentant de Kofi Annan est un Chilien, le commandant des troupes de l'ONU est un Brésilien.

Le dénouement de la crise de l'Organisation des Etats américains (OEA) s'est négocié entre Brasilia et Santiago durant un récent voyage de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice. "Au Chili et au Brésil, les coalitions de centre gauche, reposant sur un système solide de partis politiques, se sont montré capables de gouverner en évitant la tentation du populisme" , avance le jeune ministre chilien des relations extérieures, Ignacio Walker, un démocrate-chrétien. "Nos deux pays disposent de la crédibilité requise pour jouer un rôle stabilisateur dans la région" , ajoute-il.

Il souligne le caractère "emblématique" du cas haïtien. "Contrairement à l'intervention unilatérale en Irak, la mission en Haïti se fait dans le cadre multilatéral de l'ONU" , rappelle M. Walker. De même, "à l'OEA, les Etats-Unis doivent accepter la logique collective, leur vote compte autant que les autres, poursuit-il. L'élection du Chilien José Miguel Insulza au secrétariat général de l'OEA, l'a montré" . Pour la première fois, l'Amérique du Sud a imposé à Washington son candidat ­ un socialiste ­, et non l'inverse. Désormais, l'OEA devrait agir préventivement, "éviter les incendies, plutôt que de les éteindre" , suggère M. Walker.

Paulo A. Paranagua

OCDE et le financement du développement

- Les flux financiers à destination des PED ont changé de nature : autrefois essentiellement d’origine publique, ils sont désormais essentiellement d’origine privée. Le Centre de l'OCDE étudie les caractéristiques de ces deux types de financement. Lire +

- Mobilité des capitaux, investissements étrangers et intégration financière
Il est important de découvrir quel type de politique attire quel type de capitaux dans les PED et de déterminer leur impact sur le processus de développement. Lire +

vendredi, mai 06, 2005

50 ans après Bandoeng

Il y a 50 ans, se tenait à Bandoeng en Indonésie, une rencontre historique des pays du Mouvement des non-alignés. Pour commémorer cet anniversaire prestigieux, la Ligue pour la justice, le développement et les droits humains (LJDH) a organisé au mémorial Modibo Keita (Mali) une série de conférences-débats sur des thèmes variés.


On y notait la présence du président de la LJDH, Me Amadou Tiéoulé Diarra et du président d'honneur Mamadou El Béchir Gologo. Des hommes politiques, notamment Oumar Mariko du parti Sadi, et Issa N'Diaye du Faso y ont également pris part.

Durant toute une journée, les conférenciers, le public et les journalistes ont disséqué des questions relatives aux droits internationaux, à l'injustice sociale, mais également aux situations vécues par les peuples démunis de la planète, (famines, conflits inter-étatiques, guerres civiles).

Cette rencontre de la LJDH avec la société civile et la presse s'est grandement intéressée aux mutations intervenues dans le droit international depuis Bandoeng et à la construction d'un ordre international alternatif. Ces préoccupations ont été déclinées en plusieurs thèmes : "De Bandoeng au nouvel ordre économique international", "les activités transnationales", "l'ONU : d'un droit hétérogène à un droit uniforme, reforme ou restructuration", "le commerce international inéquitable", "l'actualité du droit au développement : comment et pour qui ?".

Créée en décembre dernier, la LJDH est un groupement de personnes majoritairement jeunes, de profils divers mais également intéressées à promouvoir, protéger, faire respecter les droits humains partout où ils sont violés. La ligue vise aussi un développement humain durable et la paix.

Amadou Tiéoulé Diarra décrira des relations internationales et rapports sociaux internationaux façonnés par une structure unipolaire caractérisée par le rôle dominant des États Unis. Cette domination, poursuivra-t-il, se reflète dans le refus obstiné des Américains d'encadrer leurs actions dans la légalité internationale.

Tout le système de sécurité collective construit après la Seconde guerre mondiale s'en trouve ébranlé ainsi que la capacité du droit international à réguler les rapports internationaux, ajoutera-t-il en critiquant l'ONU pour son impuissance à protéger "les communautés impuissantes".

L. DIARRA
L'Essor n°15445

lundi, mai 02, 2005

Opinion : De la bonne gouvernance

Au-delà des quatre types d'Etats – l'Etat gendarme, libéral dans la première moitié du XIXe siècle, qui intervient peu dans les domaines économique et social ; l'Etat organisateur de la nation qui renforce la cohésion sociale et la puissance nationale ; simultanément et jusque dans les années 1920, l'Etat protecteur des secteurs économiques et sociaux ; l'Etat providence, keynésien, modernisateur, qui s'annonce avec la crise des années trente – l'Etat, d'une manière générale, s'efforce à travers ses multiples prérogatives et fonctions de veiller au tandem progrès économique/progrès social, principe, aujourd'hui, remis en cause sous la pression de la mondialisation.


Actuellement, la société a besoin d'un modèle d'Etat à la fois soucieux du développement économique et de cohésion sociale, pour pallier la crise ; d'ailleurs “gouverner, c'est prendre des décisions, résoudre des conflits, produire des biens publics, coordonner les compétences privées, réguler les marchés, organiser les élections, extraire les ressources, affecter les dépenses” notait Jean LECA.

Il est vrai que l'harmonie n'est qu'une illusion d'optique, une façade et un décor. Qu'elle est fondamentalement le fruit du postulat de relativité. Que les individus, leurs opinions et leurs actes –isolément ou ensemble- ne dessinent aucune figure qui soit inspirée par une rationalité claire ou homogène et qu'il n'est pas simple de préciser l'influence qu'ils peuvent avoir sur un quelconque pouvoir.

Que la démocratie n'est pas un régime: elle est un état des choses et des esprits, elle est une ambiance qui peut vivre et s'épanouir dans une monarchie, comme dépérir dans une république. Qu'elle suppose une certaine qualité de personnes, une certaine qualité des opinions et une certaine qualité d'actes. Que la démocratie est un exercice qui doit produire, en permanence, la lisibilité et la visibilité sur la société.

Mais pour que le débat démocratique soit de qualité, il faut aussi contrôler les effets des politiques menées, d'ailleurs, le contrôle démocratique est celui qui, par le langage, conforte ou récuse le comportement des détenteurs du pouvoir, pour vérifier non pas s'ils expriment les volontés individuelles du moment, mais si quantitativement et qualitativement, le principe de relativité est bien appliqué dans la vie réelle.

Le critère de la vie démocratique réside, en fait, plus dans le style des institutions que dans leur structure, elle peut être considérée comme une musique de fond d'une représentation collective humaine, la notion de représentation démocratique suppose, ainsi, que le détenteur du pouvoir soit le délégué des non-détenteurs : implicité est, évidemment, l'idée que tout pouvoir a besoin d'être justifié et qu'aucun pouvoir ne peut être délégué quand il n'est pas détenu.

Par ailleurs, la liberté et la diversité des manifestations d'opinion qui sont indispensables, ne suffisent pas, pour autant, à constituer la démocratie, d'autant que l'éparpillement des volontés individuelles empêche la formation d'une volonté collective.

Ainsi, la démocratie ne dépend pas plus d'une constitution, de textes de lois ou de référendums, ni même de leur application, que d'un état d'esprit ; de même, les volontés formelles des individus, qu'elles soient d'incitation, de résistance ou d'abstention, même si additionnées, elles forment une majorité numérique, ne constituent pas, cependant, une volonté collective et donc une démocratie.

Il en résulte, que définir la dictature uniquement par l'absence de consentement majoritaire déclaré au pouvoir constitue un pur formalisme : chacun sait que toutes les dictatures, au moins dans leur phase de réussite, ont obtenu dans les consultations populaires, des majorités impressionnantes. L'élément essentiel de la qualification est plutôt le contenu social du régime et notamment son attitude vis-à-vis des personnes.

Le refus de la laideur du pouvoir s'y trouve exposé à la face des décideurs, dans la mesure où le pouvoir a immobilisé en incarcérant – dans la douleur - la tendresse, la compassion et la solidarité, ce qui engendre un intense mécontentement, qui ne cesse de se manifester avec force, à l'égard des autorités, ce qui accentue la nécessité de débats sur leur rôle et leur efficacité.

D'ailleurs, le chaos instauré par la contestation multipliée des légitimités peut – par un retour paradoxal, mais compréhensible et un souci de cohérence et d'harmonie – exalter des légitimités radicales, telles les légitimités jugées dépassées dans la deuxième moitié du vingtième siècle, notamment l'extrémisme religieux et qui est présenté comme une sorte de beauté morale retrouvée, faisant contraste avec ce qui est présenté comme les laideurs du monde environnant et la vie quotidienne.

En effet, l'idéologie religieuse tend à abolir les contradictions par une rationalité supérieure : au chaos insupportable que l'esprit critique individuel reconnaît dans l'apparence des choses, substituer une harmonie transcendante : idéologie est, donc, plus faite pour dissimuler les contradictions que pour les exprimer ; cependant, c'est la jonction de la légitimité et de la vérité qui fait que la vérité soit perçue comme un devoir, auquel nul ne saurait échapper sans être coupable.

De même, puisque le pouvoir est le nom prêté à une situation stratégique complexe dans une situation donnée, sa rationalité résulterait de la coordination de tactiques loquaces. En tout cas, la volonté des individus ne saurait être l'origine du pouvoir politique, c'est l'injection dans le pouvoir de valeurs existantes dans la collectivité où il s'exerce qui fait le pouvoir politique ; d'ailleurs, il faut une grande dose d'illusion à un individu pour croire sérieusement que c'est lui qui attribue le pouvoir dans un groupe quel qu'il soit, car sauf cas de démence, une personne ne détenant pas un pouvoir ne peut prétendre qu'à une portée très limitée de sa propre volonté.

Parce que l'évaluation d'une politique revient à apprécier son efficacité, en comparant ses résultats aux objectifs assignés et mis en œuvre, la crise de la légitimité de l'action publique accroît, donc, l'exigence de rationalité et de transparence des politiques ; de même, le développement de nouvelles formes de gouvernance et la multiplication des niveaux de décision incitent à développer des relations qui se prêtent à l'évaluation, notamment les partenariats et les contractualisations et ce, pour mesurer l'efficacité des politiques, leur efficience, leur pertinence et leur impact. Cette évaluation permettra d'impliquer, davantage, les acteurs publics dans la mise en œuvre de toute politique et de se donner les moyens pour mieux comprendre la logique et mieux s'en approprier les objectifs.

L'efficacité d'un acte, réside dans le pouvoir qu'a cet acte d'aboutir à un résultat, mais ce résultat peut correspondre ou non à un but prédéterminé ; en fait, le pouvoir est une réalité qui a besoin d'une valeur et les deux éléments ne doivent pas être dissociés, mais unis, Pascal ne disait-il pas que la justice sans la force est impuissante et que la force sans la justice est tyrannique.

Bien souvent, c'est au nom du bien-être du peuple et de l'harmonie, que celui-ci passe d'une dépendance à une autre et c'est aussi au nom de l'harmonie que des révolutionnaires sont anéantis par plus révolutionnaires qu'eux, car la nudité des contradictions entraîne la nudité du pouvoir, qui devient le symbole de la dysharmonie ; d'où l'opportunité de questions lancinantes : pourquoi le pouvoir politique, économique, religieux, social ou culturel prétendant lier l'idéal à l'efficacité, continue-t-il de produire une impression presque inévitable d'exagération ou de contrainte ? Pourquoi même quand il se pare des somptuosités de l'apparat, de la cérémonie et de la fête, ne provoque-t-il chez l'homme libre que malaise, indignation, colère et mépris ? Par ailleurs, qu'est-ce qui permet de banaliser, de normaliser et de faire accepter des faits et des devoirs parfois irrationnels ou inhumains en les dignifiant ? Enfin, qu'est-il advenu de la conception athénienne de la démocratie, fondée sur la vertu et créatrice de bonheur ?

L'opportunisme est plus que jamais de rigueur et les détenteurs du pouvoir s'installent, de plus en plus, confortablement dans les fauteuils de la décision et ne ratent aucune occasion pour en profiter et, donc, accentuer les dysfonctionnements et les antagonismes lequels, en l'absence de systèmes de contrôle, ne peuvent générer qu'errements et périls.

Par Mohamed Haddy, 01.05.2005

* Mohamed Haddy - est professeur de l'enseignement supérieur à l'Institut national d'aménagement et d'urbanisme, Rabat

Opinions & débats : Les institutions multilatérales prises en otage

L'offensive des conservateurs au sein des institutions internationales a marqué des points ces derniers mois. Ceux qui, comme nous, luttent pour une autre logique n'auront pas droit tout de suite au repos… En revanche, notre esprit de révolte s'en trouve alimenté d'autant… Scène 1 : le 18 janvier 2005, Koffi Annan, secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU), a décidé de nommer Ann Veneman, ministre de l'Agriculture de l'administration Bush, au poste de Directrice exécutive de l'UNICEF. Or, les Etats-Unis et la Somalie sont les deux seuls pays qui ont refusé de ratifier la Convention des Nations unies sur les droits de l'Enfant (189 pays l'ont ratifiée). On imagine les pressions auxquelles Koffi Annan a été soumis de la part de Washington pour adopter une telle décision.


Scène 2 : le 28 février 2005, Kofi Annan a décidé de nommer Supachai Panitchpakdi (Thaïlande) comme secrétaire général de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), pour quatre ans à compter du 1er septembre.

Cette nomination a de quoi surprendre quand on sait que celui qui est surnommé Docteur Sup est actuellement à la tête de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), l'instrument de prédilection de ceux qui veulent imposer au forceps la dérégulation de l'économie mondiale, pour le plus grand profit de la finance internationale et des sociétés transnationales.

Défendant le point de vue des pays du Sud, la CNUCED n'a rien à gagner à voir arriver à sa tête un homme qui a prouvé sa capacité à exiger des mesures économiques particulièrement défavorables pour les plus démunis. Les pays du tiers monde, regroupés au sein du G77, ont protesté pour ne pas avoir été consultés avant cette nomination, contrairement à l'habitude. Mais le bruit court que Kofi Annan, fragilisé par les révélations sur l'affaire « Pétrole contre nourriture » concernant l'Irak, dans laquelle son fils est impliqué, aurait cédé facilement à la volonté des Etats-Unis.

Scène 3 : le 7 mars, George W. Bush a choisi John Bolton comme ambassadeur auprès des Nations unies. Cet ultraconservateur éprouve une réelle haine envers l'ONU, n'hésitant pas à déclarer: « L'immeuble du secrétariat de l'ONU à New York compte 38 étages. S'il y en avait 10 de moins, ça ne ferait pas une grosse différence».

Il a tenté d'obtenir le départ de Mohamed El Baradei qui dirigeait l'institution des Nations unies chargée du suivi du programme de désarmement de l'Irak juste avant la guerre de 2003. C'est lui qui a obtenu que les Etats-Unis ne ratifient pas la Cour pénale internationale et qui s'est retiré de la Conférence des Nations unies sur le racisme tenue à Durban en août 2001.

Pour lui, l'ONU ne doit surtout pas entraver la politique étrangère des Etats-Unis. Il a même osé déclarer : « Les Nations unies ne peuvent fonctionner que lorsque l'Amérique les dirige. » Il a au moins le mérite d'être clair, à défaut de paraître éminemment sympathique. Il est à ce point anti-ONU qu'une partie importante du Congrès américain (y compris certains Républicains) tente de s'opposer à sa nomination.

Scène 4 : le 10 mars, George W. Bush a annoncé sa décision de proposer Paul Wolfowitz, numéro 2 du Pentagone et partisan acharné de l'invasion de l'Irak en 2003, comme candidat au poste de président de la Banque mondiale. On peut affirmer sans crainte que c'est la cerise sur le gâteau de ces dernières semaines.
Tout d'abord, la procédure de désignation du président de la Banque mondiale est particulièrement antidémocratique et emblématique d'une conception impérialiste des relations diplomatiques. Alors que la bonne gouvernance est au cœur des recommandations adressées par la Banque mondiale aux pays du Sud, elle est incapable elle-même de respecter les règles minimales de la démocratie.

Faites ce que je dis, pas ce que je fais ! C'est à un point tel que le président actuel, James Wolfensohn, banquier à NewYork mais Australien de naissance, a dû prendre la nationalité étatsunienne avant d'être nommé en 1995.

A écouter les responsables de la Banque mondiale, on pourrait croire que les années 1980 de l'ajustement structurel de sinistre mémoire sont bien loin, que la lutte contre la pauvreté est devenue la seule cause digne d'intérêt. Pourtant la politique menée par la Banque mondiale depuis plusieurs décennies s'inscrit dans une logique parfaite, sans rupture, et elle se fait toujours au bénéfice exclusif des grandes puissances qui sont à l'origine de sa création à Bretton Woods en 1944 (à un moment où la plupart des pays d'Afrique ou d'Asie n'avaient pas encore acquis l'indépendance) et qui la pilotent toujours aujourd'hui.

C'est ainsi que la présidence en revient toujours à de grands banquiers ou à d'anciens responsables du ministère de la Défense des Etats-Unis. Ce fut déjà le cas avec la nomination en 1968 de Robert McNamara, chef d'orchestre de la guerre du Vietnam et qui a utilisé la Banque mondiale comme un véritable outil géopolitique au service des alliés stratégiques des Etats-Unis. Au cours des cinq premières années de la présidence McNamara, la Banque mondiale a accordé davantage de prêts aux pays en développement que dans les 23 premières années de son existence. Son but était d'acquérir un droit de regard sur les politiques pratiquées par ses clients…

Il a ainsi soutenu les alliés stratégiques des Etats-Unis (comme Mobutu au Zaïre, les dictatures brésilienne et argentine, Pinochet au Chili, Suharto en Indonésie, Marcos aux Philippines, etc.). Nul doute que Wolfowitz s'inscrira dans la lignée de ce genre de président utilisant la Banque mondiale à des fins géostratégiques.

Officiellement, tous les administrateurs de la Banque mondiale pouvaient bloquer cette proposition de nomination. Cela s'est déjà produit au Fonds monétaire international (FMI), où le directeur général est toujours Européen. En 2000, lors du départ du Français Michel Camdessus, le secrétaire allemand aux Finances de l'époque, Caio Koch-Weser, qui était le candidat européen, avait fait l'objet d'un veto de la part des Etats-Unis et les Européens s'étaient ensuite mis d'accord sur la candidature de Horst Köhler.

A la Banque mondiale, la nomination de Paul Wolfowitz a pourtant été approuvée à l'unanimité, preuve que les 24 groupes de pays représentés s'en accommodent finalement fort bien. Il est sans doute utile de rappeler que la plupart des pays européens espèrent obtenir des Etats-Unis un renvoi d'ascenseur : le gouvernement français manœuvre pour que Pascal Lamy devienne directeur général de l'OMC et que Bernard Kouchner hérite du Haut Commissariat aux Réfugiés, le gouvernement belge avance la candidature de Marc Verwilghen au même poste, le pouvoir britannique lorgne sur le Programme des Nations unies pour le développement. Sans compter les pays qui espèrent avoir l'appui des Etats-Unis pour obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité : l'Allemagne, le Japon, le Brésil, l'Inde, l'Afrique du Sud, le Nigéria… Le grand marchandage continue, honteux mais bien réel.

Comment peut-on comprendre que la présidence de la Banque mondiale ne soit jamais revenue à un citoyen du tiers monde, en première ligne face aux défis du développement humain ? L'ancien numéro 2 de la Banque mondiale et Prix Nobel d'économie 2001, Joseph Stiglitz, a d'ailleurs déclaré : « Choisir le bon général dans la guerre contre la pauvreté ne garantit pas la victoire, mais choisir le mauvais accroît les risques de défaite. »

Ce choix est sans doute dû au fait que le vrai combat n'est pas celui contre la pauvreté, malgré les discours officiels de ceux qui, dans le même temps, imposent des mesures qui répandent la misère…

La question de la légitimité des institutions multilatérales comme la Banque mondiale et le FMI est posée. Force est de reconnaître que les évènements des derniers mois démontrent qu'une autre architecture internationale est grandement nécessaire!

Par Damien Millet, 01.05.2005

* est président du « CADTM France », Eric Toussaint est président du « CADTM Belgique» (Comité pour l'annulation de la dette du tiers monde). Ils sont auteurs du livre « Les tsunamis de la dette », éd. Syllepse/CADTM, avril 2005. Site : www.cadtm.org